Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Grenade répond :
Grand roi de Léon,
Au Maure liée,
Je suis mariée.
Garde tes présents :
J’ai pour parure
Riche ceinture
Et beaux enfants.

Ainsi tu disais ;
Ainsi tu mentais ;
Ô mortelle injure !
Grenade est parjure !
Un chrétien maudit
D’Abencerage
Tient l’héritage :
C’était écrit !

Jamais le chameau
N’apporte au tombeau,
Près de la piscine,
L’Haggi de Médine.
Un chrétien maudit
D’Abencerage
Tient l’héritage :
C’était écrit !

Ô bel Alhambra !
Ô palais d’Allah !
Cité des fontaines !
Fleuve aux vertes plaines !
Un chrétien maudit
D’Abencerage
Tient l’héritage :
C’était écrit !

La naïveté de ces plaintes avait touché jusqu’au superbe don Carlos, malgré les imprécations prononcées contre les chrétiens. Il aurait bien désiré qu’on le dispensât de chanter lui-même, mais par courtoisie pour Lautrec il crut devoir céder à ses prières. Aben-Hamet donna la guitare au frère de Blanca, qui célébra les exploits du Cid son illustre aïeul :

Prêt à partir pour la rive africaine[1],
Le Cid armé, tout brillant de valeur,
Sur sa guitare, aux pieds de sa Chimène,
Chantait ces vers que lui dictait l’honneur :

Chimène a dit : Va combattre le Maure ;
De ce combat surtout reviens vainqueur.
Oui, je croirai que Rodrigue m’adore
S’il faut céder son amour à l’honneur.

Donnez, donnez et mon casque et ma lance !
Je vais montrer que Rodrigue a du cœur :
Dans les combats signalant sa vaillance,
Son cri sera pour sa dame et l’honneur.

  1. Tout le monde connaît l’air des Folies d’Espagne. Cet air était sans paroles, du moins il n’y avait point de paroles qui en rendissent le caractère grave, religieux et chevaleresque. J’ai essayé d’exprimer ce caractère dans la romance du Cid. Cette romance s’étant répandue dans le public sans mon aveu, des maîtres célèbres m’ont fait l’honneur de l’embellir de leur musique. Mais comme je l’avais expressément composée pour l’air des Folies d’Espagne, il y a un couplet qui devient un vrai galimatias, s’il ne se rapporte à mon intention primitive :

    .....Mon noble chant vainqueur,
    D’Espagne un jour deviendra la folie, etc.

    Enfin ces trois romances n’ont quelque mérite qu’autant qu’elles sont chantées sur trois vieux airs véritablement nationaux ; elles amènent d’ailleurs le dénouement.