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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/56

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« Atala était aux pieds du religieux : « Chef de la prière, lui disait-elle, je suis chrétienne. C’est le ciel qui t’envoie pour me sauver. — Ma fille, dit l’ermite en la relevant, nous sonnons ordinairement la cloche de la mission pendant la nuit et pendant les tempêtes pour appeler les étrangers, et, à l’exemple de nos frères des Alpes et du Liban, nous avons appris à notre chien à découvrir les voyageurs égarés. » Pour moi, je comprenais à peine l’ermite ; cette charité me semblait si fort au-dessus de l’homme, que je croyais faire un songe. À la lueur de la petite lanterne que tenait le religieux, j’entrevoyais sa barbe et ses cheveux tout trempés d’eau ; ses pieds, ses mains et son visage étaient ensanglantés par les ronces. « Vieillard, m’écriai-je enfin, quel cœur as-tu donc, toi qui n’as pas craint d’être frappé de la foudre ? — Craindre ! repartit le père avec une sorte de chaleur ; craindre, lorsqu’il y a des hommes en péril et que je puis leur être utile ! je serais donc un bien indigne serviteur de Jésus-Christ ! — Mais sais-tu, lui dis-je, que je ne suis pas chrétien ? — Jeune homme, répondit l’ermite, vous ai-je demandé votre religion ? Jésus-Christ n’a pas dit : « Mon sang lavera celui-ci, et non celui-là. » Il est mort pour le Juif et le gentil, et il n’a vu dans tous les hommes que des frères et des infortunés. Ce que je fais ici pour vous est fort peu de chose, et vous trouveriez ailleurs bien d’autres secours ; mais la gloire n’en doit point retomber sur les prêtres. Que sommes-nous, faibles solitaires, sinon de grossiers instruments d’une œuvre céleste ? Eh ! quel serait le soldat assez lâche pour reculer lorsque son chef, la croix à la main et le front couronné d’épines, marche devant lui au secours des hommes ? »

« Ces paroles saisirent mon cœur ; des larmes d’admiration et de tendresse tombèrent de mes yeux. « Mes chers enfants, dit le missionnaire, je gouverne dans ces forêts un petit troupeau de vos frères sauvages. Ma grotte est assez près d’ici dans la montagne ; venez vous réchauffer chez moi ; vous n’y trouverez pas les commodités de la vie, mais vous y aurez un abri, et il faut encore en remercier la bonté divine, car il y a bien des hommes qui en manquent. »

les laboureurs.

« Il y a des justes dont la conscience est si tranquille, qu’on ne peut approcher d’eux sans participer à la paix qui s’exhale pour ainsi dire de leur cœur et de leurs discours. À mesure que le solitaire par-