Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/176

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rempart, j’attendis la fin de la tempête. Vers le soir, le vent du nord reprit son cours : l’air perdit sa chaleur cuisante, les sables tombèrent du ciel et me laissèrent voir les étoiles : inutiles flambeaux qui me montrèrent seulement l’immensité du désert !

« Toutes les bornes avoient disparu, tous les sentiers étoient effacés. Des paysages de sable formés par les vents offroient de toutes parts leurs nouveaux aspects et leurs créations nouvelles. Épuisée de soif, de faim et de fatigue, ma cavale ne pouvoit plus porter son fardeau : elle se coucha mourante à mes pieds. Le jour vint achever mon supplice. Le soleil m’ôta le peu de force qui me restoit : j’essayai de faire quelques pas ; mais bientôt, incapable d’aller plus avant, je me précipitai la tête dans un buisson, et j’attendis ou plutôt j’appelai la mort.

Déjà le soleil avoit passé le milieu de son cours : tout à coup le rugissement d’un lion se fait entendre. Je me soulève avec peine, et j’aperçois l’animal terrible courant à travers les sables. Il me vint alors en pensée qu’il se rendoit peut-être à quelque fontaine connue des bêtes de ces solitudes. Je me recommandai à la puissance qui protégea Daniel, et louant Dieu, je me levai et suivis de loin mon étrange conducteur. Nous ne tardâmes pas d’arriver à une petite vallée. Là se voyoit un puits d’eau fraîche environné d’une mousse verdoyante. Un dattier s’élevoit auprès ; ses fruits mûrs pendoient sous ses palmes recourbées. Ce secours inespéré me rendit la vie. Le lion but à la fontaine, et s’éloigna doucement comme pour me céder sa place au banquet de la Providence : ainsi renaissoient pour moi ces jours du berceau du monde, alors que le premier homme, exempt de souillure, voyoit les bêtes de la création se jouer autour de leur roi et lui demander le nom qu’elles porteroient au désert.

« De la vallée du palmier on apercevoit à l’orient une haute montagne. Je me dirigeai sur cette espèce de phare, qui sembloit m’appeler à un port à travers les flots fixes et les ondes épaisses d’un océan de sable. J’arrivai au pied de cette montagne ; je commençai à gravir des rocs noircis et calcinés qui fermoient l’horizon de toutes parts. La nuit étoit descendue ; je n’entendois que les pas d’une bête sauvage qui marchoit devant moi et qui brisoit, en passant dans l’ombre, quelques plantes desséchées. Je crus reconnoître le lion de la fontaine. Tout à coup il se mit à rugir : les échos de ces montagnes inconnues semblèrent s’éveiller pour la première fois, et répondirent par un murmure sauvage aux accents du lion. Il s’étoit arrêté devant une caverne dont l’entrée étoit fermée par une pierre. J’entrevois une foible lumière à travers les fentes du rocher. Le cœur palpitant de