Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/177

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surprise et d’espoir, je m’approche, je regarde : ô miracle ! je découvre réellement une lumière au fond de cette grotte !

« Qui que vous soyez, m’écriai-je, vous qui apprivoisez les bêtes farouches, prenez pitié d’un voyageur égaré. »

« À peine avois-je prononcé ces mots, que j’entendis la voix d’un vieillard qui chantoit un cantique de l’Écriture.

« Ô chrétien ! m’écriai-je de nouveau, recevez votre frère ! »

« À l’instant même je vis paroître un homme cassé de vieillesse, et qui sembloit réunir sur sa tête autant d’années que Jacob. Il étoit vêtu d’une robe de feuilles de palmier :

« Étranger, me dit-il, soyez le bienvenu ! Vous voyez un homme qui est sur le point d’être réduit en poussière. L’heure de mon heureux sommeil est arrivée, mais je puis encore vous donner l’hospitalité pour quelques moments. Entrez, mon frère, dans la grotte de Paul. »

« Je suivis, en tremblant de respect, ce fondateur du christianisme dans les sables de la Thébaïde.

« Au fond de la grotte, un palmier, étendant et entrelaçant ses branches de toutes parts, formoit une espèce de vestibule. Une fontaine très-claire couloit auprès. De cette fontaine sortoit un petit ruisseau qui, à peine échappé de sa source, rentroit dans le sein de la terre. Paul s’assit avec moi au bord de l’eau, et le lion qui m’avoit montré le puits de l’Arabe se vint coucher à nos pieds.

« Étranger, me dit l’anachorète avec une bienheureuse simplicité, comment vont les choses du monde ? Bâtit-on encore des villes ? Quel est le maître qui règne aujourd’hui ? Il y a cent treize ans que j’habite cette grotte : depuis cent ans je n’ai vu que deux hommes, vous aujourd’hui, et Antoine, l’héritier de mon désert, qui vint frapper hier à ma porte, et qui reviendra demain pour m’ensevelir. »

« En achevant ces mots, Paul alla chercher dans le trou d’un rocher un pain du plus pur froment. Il me dit que la Providence lui fournissoit chaque jour une pareille nourriture. Il m’invita à rompre avec lui le don céleste. Nous bûmes un peu d’eau dans le creux de notre main ; et après ce repas frugal, l’homme saint me demanda quels événements m’avoient conduit dans cette retraite inaccessible. Après avoir entendu la déplorable histoire de ma vie :

« Eudore, me dit-il, vos fautes ont été grandes, mais il n’est rien que ne puissent effacer des larmes sincères. Ce n’est pas sans dessein sur vous que la Providence vous a fait voir le christianisme naissant par toute la terre. Vous le retrouvez encore dans cette solitude, parmi les lions, sous les feux du tropique, comme vous l’avez rencontré au