Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/180

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chez les nations civilisées de l’Italie et de la Grèce ; vous l’avez vu s’introduire par la charité au milieu des peuples barbares de la Gaule et de la Germanie ; ici, sous l’influence d’une nature qui affoiblit l’âme en rendant l’esprit obstiné, chez un peuple grave par ses institutions politiques, et léger par son climat, la charité et la morale seroient insuffisantes. La religion de Jésus-Christ ne peut entrer dans les temples d’Isis et d’Ammon que sous les voiles de la pénitence. Il faut qu’elle offre à la mollesse le spectacle de toutes les privations ; il faut qu’elle oppose aux fourberies des prêtres et aux mensonges des faux dieux des miracles certains et de vrais oracles ; des scènes extraordinaires de vertu peuvent seules arracher la foule enchantée aux jeux du cirque et du théâtre : tandis que, d’une part, les hommes commettent de grands crimes, les grandes expiations sont nécessaires, afin que la renommée de ces dernières étouffe la célébrité des premiers.

« Voilà la raison de l’établissement de ces missionnaires qui commencent en moi, et qui se perpétueront dans ces solitudes. Admirez notre divin chef, qui sait dresser sa milice selon les lieux et les obstacles qu’elle a à combattre. Contemplez les deux religions qui vont lutter ici corps à corps, jusqu’à ce que l’une ait terrassé l’autre. L’antique culte d’Osiris, qui se perd dans la nuit des temps, fier de ses traditions, de ses mystères, de ses pompes, se croit sûr de la victoire. Le grand dragon d’Égypte se couche au milieu de ses eaux, et dit : « Le fleuve est à moi. » Il croit que le crocodile recevra toujours l’encens des mortels, que le bœuf qu’on assomme à la crèche sera toujours le plus grand des dieux. Non, mon fils, une armée va se former dans le désert et marcher à la vérité. Elle s’avance de la Thébaïde et de la solitude de Scété ; elle est composée de saints vieillards, qui ne portent que des bâtons blancs pour assiéger les prêtres de l’erreur dans leurs temples. Ces derniers occupent des champs fertiles et sont plongés dans le luxe et les plaisirs ; les premiers habitent un sable brûlant parmi toutes les rigueurs de la vie. L’enfer, qui presse sa ruine, tente tous les moyens de victoire : les démons de la volupté, de l’or, de l’ambition, cherchent à corrompre la milice fidèle. Le ciel vient au secours de ses enfants ; il prodigue en leur faveur les miracles. Qui pourroit dire les noms de tant d’illustres solitaires, les Antoine, les Sérapion, les Macaire, les Pacôme ? La victoire se déclare pour eux : le Seigneur se revêt de l’Égypte, comme un berger de son manteau. Partout où l’erreur avoit parlé, la vérité s’est fait entendre ; partout où les faux dieux avoient placé un mystère, Jésus-Christ a placé un saint. Les grottes de la Thébaïde sont envahies, les catacombes des morts