Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/179

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« Un horizon immense s’étendoit en cercle autour de nous. On découvroit, à l’orient, les sommets d’Oreb et de Sinaï, le désert de Sur et la mer Rouge ; au midi, les chaînes des montagnes de la Thébaïde ; au nord, les plaines stériles où Pharaon poursuivit les Hébreux ; et à l’occident, par delà les sables où je m’étois égaré, la vallée féconde de l’Égypte.

« L’aurore, entr’ouvrant le ciel de l’Arabie Heureuse, éclaira quelque temps ce tableau. L’onagre, la gazelle et l’autruche, couroient rapidement dans le désert, tandis que les chameaux d’une caravane passoient lentement à la file, menés par l’âne intelligent qui leur servoit de conducteur. On voyoit fuir sur la mer Rouge des vaisseaux chargés de parfums et de soie, ou qui portoient quelque sage aux rives indiennes. Couronnant enfin de splendeur cette frontière des deux mondes, le soleil se leva : il parut éclatant de lumière au sommet du Sinaï ; foible et pourtant brillante image du Dieu que Moïse contempla sur la cime de ce mont sacré !

« Le solitaire prit la parole :

« Confesseur de la foi, jetez les yeux autour de vous. Voilà cet Orient d’où sont sorties toutes les religions et toutes les révolutions de la terre ; voilà cette Égypte qui a donné des dieux élégants à votre Grèce et des dieux informes à l’Inde ; voilà ce désert de Sur où Moïse reçut la loi ; Jésus-Christ a paru dans ces mêmes régions, et un jour viendra qu’un descendant d’Ismael rétablira l’erreur sous la tente de l’Arabe. La morale écrite est pareillement un fruit de ce sol fécond. Or, remarquez que les peuples de l’Orient, comme en punition de quelque grande rébellion tentée par leurs pères, ont presque toujours été soumis à des tyrans : ainsi (merveilleux contre-poids !) la morale est née auprès de l’esclavage, et la religion nous est venue de la contrée du malheur. Enfin, ces mêmes déserts ont vu marcher les armées de Sésostris, de Cambyse, d’Alexandre, de César. Siècles à venir, vous y ramènerez des armées non moins nombreuses, des guerriers non moins célèbres ! Tous les grands mouvements imprimés à l’espèce humaine sont partis d’ici, ou sont venus s’y perdre. Une énergie surnaturelle s’est conservée aux bords où le premier homme a reçu la vie ; quelque chose de merveilleux semble encore attaché au berceau de la création et aux sources de la lumière.

« Sans nous arrêter à ces grandeurs humaines qui tour à tour ont trébuché dans la tombe, sans considérer ces siècles fameux qu’une pelletée de terre sépare, et qu’un peu de poussière recouvre, c’est surtout pour les chrétiens que l’Orient est le pays des merveilles.

« Vous avez vu le christianisme pénétrer, à l’aide de la morale