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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/207

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l’arrêt des destinées dans ces jeux incertains du hasard. Cependant le char a franchi le sommet de l’Herméum et commence à descendre vers Pillane. Le prêtre d’Homère salue l’Eurotas, dont il côtoie les bords ; il touche au tombeau de Ladas ; il découvre bientôt la statue de la Pudeur, qui marque l’endroit où Pénélope, prête à suivre Ulysse, baissa son voile en rougissant. Il laissa derrière lui le monument de Diane Mysienne, le bois sacré de Carnéus, les sept colonnes, la sépulture du coursier, et tout à coup il arrive au penchant fleuri d’un coteau que couronnoit le temple d’Achille : Sparte et la vallée de la Laconie se présentent à ses regards. La chaîne des montagnes du Taygète, couvert de neige et de forêts, se déployoit à l’occident ; d’autres montagnes, moins élevées, formoient à l’orient un rideau parallèle : elles diminuoient de hauteur par degrés, et se terminoient aux sommets rougis du Ménélaïon. La vallée comprise entre ces deux chaînes de montagnes étoit obstruée vers le nord par un amas confus de monticules irréguliers. Ceux-ci, s’avançant au midi, venoient former de leurs dernières croupes les collines où Sparte étoit assise. Depuis Sparte jusqu’à la mer on n’aperçoit qu’un terrain uni, fertile, entrecoupé de champs, de vignes et de froment, ombragé de bosquets d’oliviers, de sycomores et de platanes. L’Eurotas promenoit son cours tortueux dans cette riante solitude, et cachoit sous des lauriers roses ses flots d’azur qu’embellissoient les cygnes de Léda.

Le prêtre des dieux et Cymodocée ne pouvoient se lasser d’admirer ce tableau, que peignoient de mille couleurs les feux de l’aurore naissante. Qui pourroit fouler impunément la poussière de Sparte et contempler sans émotion la patrie de Lycurgue et de Léonidas ? Démodocus agitoit encore d’étonnement son sceptre augural, que déjà ses coursiers rapides entroient dans Lacédémone. Le char traverse la place publique, franchit le sénat des vieillards et le portique des Perses, prend la route du théâtre adossé à la citadelle, et monte à la maison de Cyrille, bâtie près du temple de Vénus armée.

La famille de Lasthénès attendoit chez l’évêque de Lacédémone l’arrivée de la nouvelle épouse ; le prélat étoit instruit de tout ce qui s’étoit passé en Arcadie. Pour mettre Cymodocée à l’abri des entreprises d’Hiéroclès, et afin qu’Eudore acquît des droits sur elle, Cyrille se proposoit de la fiancer au fils de Lasthénès aussitôt qu’elle seroit déclarée néophyte ; mais la prêtresse des Muses ne pouvoit devenir l’épouse d’Eudore qu’après avoir reçu le baptême. Les vieillards saluèrent l’aimable étrangère avec une tendresse grave et sainte. Les soins les plus touchants lui furent prodigués par sa nouvelle mère et ses nouvelles sœurs. Ces caresses, que Cymodocée n’avoit jamais con-