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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/208

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nues, lui sembloient d’une extrême douceur. Elle ne vit point Eudore, qui dans ce moment de bonheur redoubloit de veilles et d’austérités. Des le soir même Cyrille commença les instructions de la jeune infidèle. Elle écoutoit avec candeur et ingénuité ; la morale et la charité évangélique charmoient son cœur. Elle pleuroit abondamment sur le mystère de la croix et sur les douleurs du Fils de l’homme : le culte de la Mère du Sauveur la remplissoit d’attendrissement et de délices ; elle se faisoit conter sans cesse par le vieux martyr l’histoire de la crèche, des bergers, des anges, des mages ; elle répétoit tout bas ces paroles qu’elle avoit apprises : « Je vous salue, Marie, pleine de grâce. » La grandeur du Dieu des chrétiens effrayoit un peu Cymodocée ; elle se réfugioit auprès de Marie, qu’elle paroissoit prendre pour sa mère. Elle expliquoit souvent à Démodocus quelques-unes des leçons qu’elle avoit reçues, elle s’asseyoit sur ses genoux, et lui disoit dans un langage charmant l’heureuse vie des patriarches, la tendresse de Nachor pour Sara sa fille, l’amour du jeune Tobie pour son épouse étrangère ; elle lui parloit d’une femme qu’un apôtre fit sortir du tombeau et rendit à ses parents désolés.

« Crois-tu, ajoutoit-elle, que le Dieu des chrétiens, qui me commande d’aimer mon père afin de vivre longuement, ne vaut pas bien ces dieux qui ne me parloient jamais de toi ? »

Rien n’étoit plus touchant que de voir ainsi ce missionnaire d’une espèce nouvelle, tour à tour disciple d’un vieillard et maître d’un autre vieillard, placé, comme la grâce et la persuasion, entre ces hommes vénérables, pour faire goûter au prêtre d’Homère les sérieuses instructions du prêtre d’Israël.

L’ennemi du genre humain voyoit en frémissant de rage cette vierge innocente échapper à son pouvoir. Il en accuse Astarté.

« Foible démon, s’écrie-t-il, que fais-tu donc dans l’abîme ? Tu n’as quitté le ciel qu’en gémissant, et maintenant encore te voilà vaincu par l’ange des saintes amours ! »

Astarté repondit :

« Ô Satan ! calme ta colère. Si je n’ai pu l’emporter sur l’ange qui m’a remplacé au séjour du bonheur, ma défaite même va servir au succès de tes desseins. J’ai un fils aux enfers, mais je n’ose l’approcher, car ses fureurs m’intimident. Tu le connois : descends à sa prison ; ramène-le sur la terre ; je vais l’attendre auprès d’Hiéroclès, et quand ce mortel sera brûlé de mes feux et de ceux de mon fils, tu n’auras plus qu’à livrer les chrétiens au démon de l’homicide. »

Il dit, et Satan se précipite au fond du gouffre des tourments. Par delà des marais croupissants et des lacs de soufre et de bitume, dans