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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/218

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Dioclétien avoit encore pris un de ces partis modérés convenables à son caractère. Sur le faux rapport envoyé par Hiéroclès, l’empereur avoit ordonné de surveiller les prêtres et de disperser les assemblées secrètes ; mais éclairé par Constantin, il n’avoit pu croire qu’Eudore se fût mis à la tête des rebelles, et il se contentoit de le rappeler à Rome. Constantin ajoutoit dans sa lettre :

« Venez donc auprès de moi ; nous aurons besoin de votre secours. J’envoie Dorothée à Jérusalem, afin de prévenir ma mère du sort qui menace les fidèles. Il doit toucher à Athènes. Si vous choisissiez le Pirée pour vous embarquer, vous pourriez apprendre de la bouche de votre ancien ami des choses importantes. »

La galère de Dorothée venoit en effet d’arriver au port de Phalère. La famille de Lasthénès et celle de Démodocus délibèrent sur le parti qui leur reste à prendre.

« Cymodocée, dit Eudore, ne peut demeurer dans la Grèce après mon départ sans être exposée aux violences d’Hiéroclès ; elle ne peut me suivre à Rome, puisqu’elle n’est pas encore mon épouse. Il s’offre une circonstance favorable : Dorothée pourroit conduire Cymodocée à Jérusalem. Sous la protection de l’épouse de Constance, elle achèveroit de s’instruire des vérités du salut. Aussitôt que l’empereur m’en accorderoit la grâce, j’irois au tombeau de Jésus-Christ réclamer la foi que la fille de Démodocus m’a jurée. »

Les deux familles regardèrent ce dessein comme une inspiration du ciel : ainsi lorsque des marins ont embarqué sur leur galère cet oiseau belliqueux et rustique qui réveille au matin les laboureurs, si pendant la nuit, au travers des sifflements d’une tempête, il fait entendre son cri guerrier et villageois, je ne sais quel doux regret de la patrie pénètre avec un rayon d’espérance dans le cœur du matelot réjoui : il bénit la voix qui, rappelant au milieu des mers la vie pastorale, semble promettre une terre prochaine. Démodocus lui-même est rassuré par le projet d’Eudore ; sans songer à une séparation douloureuse, il ne voit, au premier moment, qu’un moyen de sauver sa fille : il l’auroit voulu suivre aux extrémités de la terre, mais son âge et ses fonctions de pontife l’enchaînoient au sol de la Grèce.

« Eh bien, dit Lasthénès, que la volonté de Dieu s’accomplisse ! Démodocus conduira Cymodocée à Athènes ; Eudore s’y rendra de son côté. Les deux époux s’embarqueront au même moment et au même port, l’un pour Rome, l’autre pour la Syrie. Ô mes enfants ! le temps des épreuves est de peu de durée et passe comme un courrier rapide ! Soyez chrétiens, et l’amour vous restera avec le ciel. »

Le départ fut fixé au jour suivant, dans la crainte de quelque nou-