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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/217

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Prêts à s’élancer sur le chrétien, ils croient voir, à la lueur de leurs torches, l’ombre magnanime de Léonidas, qui d’une main tient sa lance et de l’autre embrasse son sépulcre. Les yeux du fils de Lasthénès étincellent ; il secoue dans la nuit sa noire chevelure ; le fer de sa lance brise et renvoie en mille éclairs la lueur des flambeaux : moins terrible parut aux Perses Léonidas lui-même, dans cette nuit où, pénétrant jusqu’à la tente de Xerxès, il remplit de meurtre et d’épouvante le camp des barbares. Ô surprise ! plusieurs soldats reconnoissent leur général.

« Romains, s’écrie Eudore, c’est mon épouse que vous me voulez ravir, mais vous ne me l’arracherez qu’avec la vie ! »

Touchés par la voix de leur ancien compagnon d’armes, effrayés de son air terrible, les soldats s’arrêtent. Quand une troupe rustique est entrée dans un champ de blé nouveau, les frêles épis tombent sans effort sous la faucille ; mais arrivés au pied d’un chêne qui s’élève au milieu des gerbes, les moissonneurs admirent l’arbre puissant que pourroient seules abattre ou la tempête ou la cognée : ainsi, après avoir dispersé la foule des chrétiens, les soldats s’arrêtent devant le fils de Lasthénès. En vain le lâche centurion leur ordonne d’avancer : ils semblent attachés sur le sol par un charme. Dieu leur inspiroit secrètement cet effroi. Il fait plus : il ordonne à l’ange protecteur du fils de Lasthénès de se dévoiler aux yeux de la cohorte, La foudre gronde dans les cieux, l’ange paroît au côté d’Eudore, sous la forme d’un guerrier couvert d’armes étincelantes ; les soldats jettent leur bouclier sur leur dos, et s’enfuient dans les ténèbres, au milieu de la grêle et des éclairs. Eudore profite de cet instant : il enlève de nouveau sa bien-aimée. Suspendue au cou d’Eudore, Cymodocée presse dans ses bras la tête sacrée de son époux : la vigne s’attache avec moins de grâce au peuplier qui la soutient, la flamme embrasse avec moins de vivacité le tronc du pin qu’elle dévore ; la voile est repliée moins étroitement autour du mât pendant la tempête. Le fils de Lasthénès, chargé de son trésor, arrive bientôt chez son père et, du moins pour un moment, met à l’abri la vierge qui vient de lui consacrer ses jours.

En proie au démon de la jalousie, Hiéroclès s’étoit porté à cette violence contre les chrétiens dans l’espoir de ravir Cymodocée à Eudore avant qu’elle eût prononcé les mots qui l’engageoient à son époux ; mais ses satellites arrivèrent trop tard, et le courage d’Eudore sauva l’innocente catéchumène. Le messager que le fils de Lasthénès avoit envoyé à Constantin revint à Lacédémone la nuit même de ce scandale. Il apporta des nouvelles à la fois heureuses et inquiétantes