Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voir aussi dans ces travaux mon respect pour le public et l’importance que j’attache à tout ce qui concerne de près ou de loin les intérêts de la religion.

Il ne me reste plus qu’à parler du genre de cet ouvrage. Je ne prendrai aucun parti dans une question si longtemps débattue ; je me contenterai de rapporter les autorités.

On demande s’il peut y avoir des poëmes en prose : question qui au fond pourroit bien n’être qu’une dispute de mots.

Aristote, dont les jugements sont des lois, dit positivement que l’épopée peut être écrite en prose ou en vers :

Ἡ δὲ Ἐποποιία μόνον τοῖς λόγοις ψίλοις, ἡ τοῖς μέτροις[1].

Et ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’il donne au vers homérique, ou vers simple, un nom qui le rapproche de la prose, φιλομετρία, comme il dit de la prose poétique, φιλοὶ λόγοι.

Denys d’Halicarnasse, dont l’autorité est également respectée, dit :

« Il est possible qu’un discours en prose ressemble à un beau poème ou à de doux vers ; un poème et des chants lyriques peuvent ressembler à une prose oratoire. »

Πῶς γράφεται λέξις ἄμετρος ὁμοία καλῷ ποιήματι ἢ μέλει , καὶ πῶς ποίημα γε ἢ μέλος πεζῇ λέξει καλῇ παραπλήσιον[2].

Le même auteur cite des vers charmants de Simonide sur Danaé, et il ajoute :

« Ces vers paraissent tout à fait semblables à une belle prose[3]. »

Strabon confond de la même manière les vers et la prose[4].

Le siècle de Louis XIV, nourri de l’antiquité, paroît avoir adopté le même sentiment sur l’épopée en prose. Lorsque le Télémaque parut, on ne fit aucune difficulté de lui donner le nom de poème. Il fut connu d’abord sous le titre des Aventures de Télémaque, ou Suite du IVe livre de l’Odyssée. Or, la suite d’un poëme ne peut être qu’un poëme. Boileau, qui, d’ailleurs, juge le Télémaque avec une rigueur que la postérité n’a point sanctionnée, le compare à l’Odyssée, et appelle Fénelon un poëte.

  1. Arist., de Art. poet., p. 2. Paris, 1645, in-8o.
  2. Dion. Halic., t. II, p. 51, cap. XXV.
  3. Dion. Halic., t. II, p. 60.
  4. Strab., lib. I, p. 12, fol. 1597.