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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/258

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doit-il faire disparoître de la terre les sacriléges ennemis des dieux ? »

À ces mots, la prêtresse se lève trois fois avec violence ; trois fois une force la rasseoit sur le trépied ; les cent portes du sanctuaire s’ouvrent pour laisser passer les paroles prophétiques. Ô prodige ! la sibylle reste muette. En vain, fatiguée par le démon, elle cherche à rompre le silence : elle ne rend que des sons confus et inarticulés. L’ange du Seigneur s’est dévoilé aux yeux de la prêtresse : la bouche entr’ouverte, les yeux égarés, les cheveux épars, elle le montre de la main aux spectateurs ; ils ne voient point l’apparition céleste mais ils sont saisis d’épouvante. Domptée par l’esprit de l’abîme et faisant un dernier effort, la sibylle veut ordonner la proscription des chrétiens, et elle ne prononce que ces mots :

« Les justes qui sont sur la terre m’empêchent de parler. »

Satan, vaincu par cet oracle, s’envole plein de honte et de douleur, sans perdre toutefois l’espérance et sans abandonner ses projets. Ce qu’il n’a pu faire lui-même, il le fera par les passions des hommes. L’aruspice confie la réponse des dieux à un cavalier numide plus léger que les vents ; Dioclétien la reçoit ; le conseil s’assemble.

« Ces prétendus justes, s’écrie Hiéroclès, ce sont les chrétiens. L’oracle les désigne, par dérision, sous le nom qu’ils se donnent eux-mêmes. Auguste, ce sont donc les chrétiens qui font taire la voix du ciel ! tant ces monstres sont en horreur aux dieux et aux hommes ! »

Dioclétien, secrètement troublé par l’antique serpent, est frappé de l’explication d’Hiéroclès. Il ne voit plus ce que l’oracle a de favorable aux fidèles. La superstition étouffe la sagesse : il craint de favoriser des hommes dévoués aux Furies. Cependant il hésite encore. Alors un bruit se répand dans le conseil que les chrétiens ont mis le feu au palais. Galérius, par l’avis d’Hiéroclès, avoit préparé cet incendie, afin de triompher des incertitudes de l’empereur. Aussitôt César, affectant un air consterné :

« Il est bien temps de délibérer quand des scélérats vont vous faire périr au milieu des flammes ! »

À ces mots, tout le conseil, ou séduit ou trompé, demande la mort des impies, et l’empereur, effrayé lui-même, ordonne de publier l’édit de persécution.


fin du livre dix-septième.