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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/257

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à Cumes, afin d’inspirer à la sibylle l’oracle trompeur qui devoit perdre les fidèles. Il découvre avec complaisance le lac Averne environné d’une sombre forêt. C’est par une ouverture voisine de ces lieux que souvent les démons s’élancent du sein des ombres : du fond de ce soupirail empesté, ils se plaisent à répandre chez les peuples mille fables obscures touchant les vastes demeures de la nuit et du silence. Mais ces anges criminels trahissent malgré eux le secret de leurs douleurs : car ils placent sur le chemin de leur empire les remords couchés sur un lit de fer ; la discorde aux crins de couleuvres, rattachés par des bandelettes sanglantes ; les vains songes suspendus aux branches d’un orme antique ; le travail, les chagrins, l’épouvante, la mort et les joies coupables du cœur.

L’Éternel, qui voit Satan s’avancer vers l’antre de la sibylle, s’oppose à l’entier accomplissement des projets de l’enfer. Si Dieu, dans la profondeur de ses conseils, souffre que son Église soit persécutée, il ne permet pas que les démons puissent s’en attribuer la coupable gloire ; même en châtiant les chrétiens il songe à humilier les esprits rebelles. Il veut que les faux oracles se taisent, et que les idoles, s’avouant vaincues, reconnoissent enfin le triomphe de la croix.

Un ange, chargé des ordres du Très-Haut, descend aussitôt sur la colline où Dédale, après avoir franchi les cieux, consacra, dit la fable, ses ailes au génie de la lumière. Le messager céleste pénètre dans le temple de la sibylle. L’aruspice envoyé par Dioclétien offroit dans ce moment même un sacrifice. Quatre taureaux tombent égorgés en l’honneur d’Hécate ; on immole une brebis noire à la Nuit, mère des Euménides ; le feu est allumé sur les autels de Pluton ; les victimes entières sont précipitées dans la flamme, et des flots d’huile inondent leurs entrailles brûlantes. On invoque le Chaos, le Styx, le Phlégéton, les Parques, les Furies, divinités infernales : on leur dévoue la tête des chrétiens. À peine l’odieux sacrifice est consommé, que la sibylle, hors d’elle-même, s’écrie :

« Il est temps de consulter l’oracle ! Le Dieu ! Voilà le Dieu ! »

Tandis qu’elle parle à l’entrée du sanctuaire, Satan agite tout à coup la prêtresse des idoles. Les traits de la sibylle s’altèrent, son visage change de couleur, ses cheveux se hérissent, sa poitrine se suulève, sa taille s’agrandit, sa voix n’a plus rien d’une mortelle. Assise sur le trépied, elle lutte encore contre l’inspiration du prince des ténèbres.

« Puissant Apollon, s’écrie l’aruspice, dieu de Sminthe et de Délos, vous que le destin a choisi pour dévoiler l’avenir aux mortels, daignez m’apprendre quel sera le sort des chrétiens ! Le pieux empereur