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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/260

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Auguste vient de se priver de l’appui des chrétiens. En exterminant ces factieux, vous serez à couvert de la haine qu’entraîne quelquefois une mesure sévère, puisque l’édit est donné sous le nom de l’empereur. Dioclétien est effrayé de la résolution qu’il a prise, profitez de ce moment de crainte ; représentez au vieillard — qu’il est temps pour lui de goûter le repos et de laisser à un héros plus jeune le soin d’exécuter des ordres d’où dépend le salut de l’empire. Vous nommerez des césars de votre choix ; vous ferez régner la sagesse : le présent vous devra son bonheur, et les siècles futurs retentiront de vos vertus.

Galérius approuva le zèle d’Hiéroclès ; il appela le lâche conseiller son digne ami, son fidèle ministre. Tous les favoris de César applaudirent, même Publius, qui, rival de la faveur de l’apostat, ne cherchoit que le moyen de le perdre ; mais, en habile courtisan, il se garda bien de s’opposer à un crime qui flattoit l’ambition de Galérius. Préfet de Rome, il se chargea de gagner les prétoriens et les légions campées au Champ de Mars.

Galérius se rend au palais des Thermes. Dioclétien étoit enfermé seul dans le lieu le plus reculé de sa vaste demeure. À l’instant on l’empereur avoit prononcé l’arrêt des chrétiens, Dieu avoit prononcé l’arrêt de l’empereur : le règne avoit fini avec la justice. Rongé de remords et d’inquiétudes, Auguste se sentoit abandonné du ciel, et des pensées amères occupoient son âme : tout à coup on annonce Galérius. Dioclétien le salue du nom de césar.

« Toujours césar ! s’écrie le prince avec violence. Ne serai-je jamais que césar ? »

En même temps il ferme les portes, et s’adressant à l’empereur :

« Auguste, on vient d’afficher votre édit dans Rome, et les chrétiens ont eu l’insolence de le déchirer. Je prévois que cette race impie causera bien des maux à votre vieillesse ; souffrez que je punisse vos ennemis, et déchargez-vous sur moi du fardeau de l’empire : votre âge, vos longs travaux, votre santé chancelante, tout vous fait une loi de chercher le repos. »

Dioclétien, sans paroître surpris, répliqua :

« C’est vous qui plongez ma vieillesse dans ces malheurs ; sans vous j’aurois laissé après moi l’empire tranquille. Irai-je, après vingt années de gloire, languir dans l’obscurité ? »

« Eh bien ! dit Galérius en fureur, si vous ne voulez renoncer à l’empire, c’est à moi de me consulter. Depuis quinze ans je combats les barbares sur des frontières sauvages, tandis que les autres césars régnant en paix sur des provinces fertiles : je suis las du dernier rang. »