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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/261

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« Songez-vous, répondit le vieillard, que vous êtes dans mon palais ? Gardien de troupeaux ! tout foible que je suis, je puis encore vous faire rentrer dans votre néant ; mais j’ai trop d’expérience pour être étonné de l’ingratitude, et je suis trop las de gouverner les hommes pour vous disputer ce triste honneur. Infortuné Galérius, savez-vous ce que vous demandez ? Depuis vingt ans que je tiens les rênes de l’empire, un sommeil paisible n’a point encore fermé mes yeux ; je n’ai vu autour de moi que bassesses, intrigues, mensonges, trahisons ; je n’emporterai du trône que le vide des grandeurs et un profond mépris pour la race humaine. »

« Je saurai bien, dit Galérius, me mettre à couvert de l’intrigue, de la bassesse, du mensonge et de la trahison : je rétablirai les Frumentaires, que vous avez si imprudemment supprimés ; je donnerai des fêtes à la foule, et, maître du monde, je laisserai par des choses éclatantes une longue opinion de ma grandeur. »

« Ainsi, repartit Dioclétien avec mépris, vous ferez bien rire le peuple romain. »

« Eh bien ! dit le farouche césar, si le peuple romain ne veut pas rire, je le ferai pleurer ! Il faudra ou servir ma gloire ou mourir. J’inspirerai la terreur pour me sauver du mépris. »

« Le moyen n’est pas aussi sûr que vous le pensez, répliqua Dioclétien. Si l’humanité ne vous arrête pas, que votre propre sûreté vous touche : un règne violent ne sauroit être long. Je ne prétends pas que vous soyez exposé à une chute soudaine, mais il y a dans les principes des choses un certain degré de mal que la nature ne peut passer. On voit bientôt, quelle qu’en soit la cause, disparoître les éléments de ce mal. De tous les mauvais princes, Tibère seul a paru longtemps au limon de l’État ; mais Tibère ne fut violent que dans les dernières années de sa vie. »

« Tous ces discours sont inutiles, s’écria Galérius, fatigué : je ne demande pas des leçons, mais l’empire. Vous dites que le pouvoir souverain n’a plus d’attraits à vos yeux, laissez-le donc passer aux mains de votre gendre. »

« Ce titre, repartit Dioclétien, ne peut vous servir auprès de moi. Avez-vous fait le bonheur de ma fille ? Infidèle à son amour, persécuteur de la religion qu’elle aime, vous n’attendez peut-être que ma retraite pour exiler Valérie sur quelque rivage désert. Et voilà comme vous m’avez payé de mes bienfaits ! Mais je serai vengé : je vous laisse ce pouvoir que vous voulez m’arracher au bord de ma tombe. Je ne cède point à vos menaces, mais j’obéis à une voix du ciel qui me dit que le temps des grandeurs est passé. Je vous le donne, ce lambeau de