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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/280

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fine ; tout à coup Jérôme s’arrête et montre à Dorothée, presque sous ses pas, quelque chose en mouvement dans l’immobilité du désert : c’étoit un fleuve jaune, profondément encaissé, qui rouloit avec lenteur une onde épaissie. L’anachorète salue le Jourdain, et s’écrie :

« Ne perdons pas un moment, fille trop heureuse ! Venez puiser la vie à l’endroit même où les Israélites passèrent le fleuve en sortant du désert, et où Jésus-Christ voulut recevoir le baptême de la main du Précurseur. Ce fut de la cime de ce mont Abarim que Moïse découvrit pour vous la terre promise, ce fut au sommet de cette montagne opposée que Jésus-Christ pria pour vous pendant quarante jours. À la vue des murs en ruine de Jéricho, faisons tomber la barrière de ténèbres qui environne votre âme, afin que le Dieu vivant y puisse pénétrer. »

Aussitôt Jérôme descend dans le fleuve, Cymodocée y descend après lui. Dorothée, unique témoin de cette scène, se mit à genoux sur la rive. Il sert de père spirituel à Cymodocée, et lui confirme le nom d’Esther. Les flots se divisent autour de la chaste catéchumène, comme ils se partagèrent au même lieu autour de l’arche sainte. Les plis de sa robe virginale, entraînés par le courant, s’enflent au loin derrière elle ; elle incline sa tête devant Jérôme, et, d’une voix qui charme les roseaux du Jourdain, elle renonce à Satan, à ses pompes et à ses œuvres. L’anachorète, puisant l’eau régénératrice avec une coquille du fleuve, la verse, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, sur le front de la fille d’Homère. Ses cheveux, dénoués, tombent des deux côtés de sa tête sous le poids de l’onde rapide qui suit et déroule leurs anneaux : ainsi la douce pluie du printemps humecte des jasmins fleuris et glisse le long de leurs tiges parfumées. Oh ! qu’il étoit attendrissant ce baptême furtif dans les eaux du Jourdain ! Combien elle étoit touchante cette vierge qui, cachée au fond d’un désert, déroboit, pour ainsi dire, le ciel ! Seule, la souveraine beauté parut plus belle en ce lieu, lorsque, les nuées s’entr’ouvrant, l’Esprit de Dieu descendit sur Jésus-Christ en forme de colombe et que l’on entendit une voix qui disoit : Celui-ci est mon fils bien aimé. »

Cymodocée sort des ondes pleine de foi et de courage contre les maux de la vie : la nouvelle chrétienne, portant Jésus-Christ dans son cœur, ressembloit à une femme qui, devenue mère, trouve tout à coup pour son fils des forces qu’elle n’avoit pas pour elle-même.

En ce moment, une troupe d’Arabes se montra non loin du fleuve. Jérôme, d’abord effrayé, reconnut bientôt une tribu chrétienne, dont il avoit été l’apôtre. Cette petite Église, où Dieu étoit adoré sous une