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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/283

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tente, comme aux jours de Jacob, n’avoit point échappé à la persécution. Les soldats romains lui avoient enlevé ses cavales et ses troupeaux : les chameaux seuls lui étoient restés. Le chef les avoit appelés de loin, en s’enfuyant dans la montagne, et ils s’étoient empressés de le suivre : ces fidèles serviteurs avoient porté à leurs maîtres le tribut d’un lait abondant, comme s’ils avoient deviné que ces maîtres n’avoient plus d’autre nourriture.

Jérôme vit dans cette rencontre la main de la Providence.

« Ces Arabes, dit-il à Dorothée, vous conduiront chez nos frères de Ptolémaïs, où vous trouverez facilement un vaisseau pour l’Italie. »

« Gazelle au doux regard et aux pieds légers, vierge plus agréable qu’une source limpide, dit le chef des Arabes à Cymodocée, ne crains rien : je te conduirai partout où tu le désireras, si Jérôme, notre père, l’ordonne. »

Le jour étant trop avancé pour se mettre en marche, on s’arrête au bord du fleuve, on égorge un agneau qu’on fait rôtir tout entier ; on le sert sur un plateau de bois d’aloès : chacun déchire une partie de la victime ; on boit un peu de ce lait que le chameau puise dans un sable aride et qui conserve le goût de la datte savoureuse. La nuit vient. On s’assied autour d’un bûcher. Attachés à des piquets, les chameaux forment un second cercle en dehors des descendants d’Ismael. Le père de la tribu raconte les maux que l’on faisoit souffrir aux chrétiens. À la lueur du feu, on voyoit ses gestes expressifs, sa barbe noire, ses dents blanches, les diverses formes qu’il donnoit à son vêtement dans l’action de son récit. Ses compagnons l’écoutoient avec une attention profonde : tous penchés en avant, le visage sur la flamme, tantôt ils poussoient un cri d’admiration, tantôt ils répétoient avec emphase les paroles de leur chef ; quelques têtes de chameaux s’avançoient au-dessus de la troupe et se dessinoient dans l’ombre. Cymodocée contemploit en silence cette scène de pasteurs de l’Orient ; elle admiroit cette religion qui civilisoit des hordes sauvages et les portoit à secourir la foiblesse et l’innocence, tandis que les faux dieux ramenoient les Romains à la barbarie et étouffoient dans leur cœur la justice et la pitié.

Au premier rayon de l’aurore, toute la troupe rassemblée offrit au bord du Jourdain ses prières à l’Éternel. Le dos d’un chameau, paré d’un tapis, fut l’autel où l’on plaça les signes sacrés de cette Église errante. Jérôme remit à Dorothée des lettres pour les principaux fidèles de Ptolémaïs. Il exhorta Cymodocée à la patience et au courage, en se félicitant d’envoyer une épouse chrétienne à son ami.

« Allez, lui dit-il, fille de Jacob, autrefois fille d’Homère ! reine de