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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/285

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« Je suis jeune, répondit Cymodocée, et sans expérience ; conduis-moi, ô le plus doux des hommes ! ta fille chrétienne doit obéir à tes conseils. »

Il ne se trouva dans le port de Ptolémaïs qu’un seul vaisseau faisant voile pour Thessalonique : la nouvelle chrétienne et son généreux conducteur furent obligés d’en profiter. Ils se cachèrent sous des noms inconnus, et quittèrent ce port que saint Louis, sauvé des mains des infidèles, devoit, tant de siècles après, illustrer de ses vertus. Hélas ! Cymodocée alloit chercher son père aux bords du Pamysus, et le vieillard lui-même la demandoit inutilement aux flots du Tibre ! Étranger dans Rome, sans protecteur, sans appui, il avoit compté sur Eudore ; et le confesseur, séparé des hommes, ne pouvoit plus l’entendre ni le secourir.

Au pied du mont Aventin sous les murs du Capitole, s’élevoit une antique prison d’État, dont l’origine remontoit au siècle de Romulus. Les complices de Catilina avoient entendu du fond de ce cachot la voix de Cicéron, qui les accusoit dans le temple de la Concorde. La captivité de saint Pierre et de saint Paul purifia dans la suite cet asile des criminels. C’est là qu’Eudore attendoit chaque jour l’ordre qui devoit le livrer aux juges. C’est là qu’il avoit reçu la nouvelle de la mort de sa mère, comme le commencement de son sacrifice. Il avoit souvent adressé à la fille d’Homère des lettres pleines de religion et de tendresse : les unes avoient été arrêtées par les persécuteurs, les autres s’étoient perdues sur les flots ; mais dans la prison même il goûtoit quelques-unes de ces consolations et de ces joies douloureuses qui ne sont connues que des chrétiens. Chaque jour lui amenoit des compagnons d’infortune et de gloire.

Lorsqu’un opulent laboureur recueille ses moissons nouvelles, il entasse dans une grange spacieuse, et les grains qui seront foulés par le pied des mules, et ceux qui rendront leurs trésors sous les coups du fléau, et ceux qu’un cylindre pesant détachera de la paille légère ; le village retentit des cris du maître et des serviteurs, de la voix des femmes qui préparent le festin, des clameurs des enfants qui se jouent autour des gerbes, du mugissement des bœufs qui traînent ou qui vont chercher les épis jaunissants : ainsi Galérius rassemble de toutes les parties du monde dans les prisons de saint Pierre les chrétiens les plus illustres : froment des élus, récolte divine qui doit enrichir le bon Pasteur ! Eudore voit arriver tour à tour des amis qu’il avoit jadis rencontrés au fond des Gaules, en Égypte, en Grèce, en Italie : il embrasse Victor, Sébastien, Rogatien, Gervais, Protais, Lactance, Arnobe, l’ermite du Vésuve, et le descendant de Persée, qui se prépa-