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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/287

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ont effacé mes péchés dans un livre. Tout à coup changé, j’ai crié sérieusement : « Je suis chrétien ! » On rioit, on refusoit de me croire. J’ai raconté ce que j’avois vu. On m’a battu de verges, et je suis venu mourir avec vous. »

En achevant ces mots, Genès embrasse Eudore. Le fils de Lasthénès, au milieu des confesseurs, attiroit tous les regards. L’ermite du Vésuve lui rappeloit leur rencontre au tombeau de Scipion, et les espérances qu’il avoit dès lors conçues de sa vertu. Les confesseurs des Gaules lui disoient :

« Vous souvenez-vous que nous avons souhaité de nous trouver réunis à Rome, connue nous le sommes maintenant ? Vous étiez encore bien loin de la gloire qui vous couronne aujourd’hui. »

Tandis que les prisonniers s’entretenoient de la sorte, ils virent entrer, sous la casaque d’un soldat vétéran, un homme chargé d’années ; ils ne l’avoient point encore remarqué parmi les chrétiens qui servoient les cachots ; il apportoit aux martyrs le saint viatique que Marcellin envoyoit à l’évêque de Lacédémone. La sombre lumière de la prison ne permettoit pas de découvrir les traits du vieillard. Il demande Eudore ; on le lui montre en prière : il s’approche de lui, le prend dans ses bras affoiblis, et le presse sur son cœur en versant des larmes. Enfin il s’écrie avec des sanglots d’attendrissement :

« Je suis Zacharie ! »

« Zacharie ! répète Eudore saisi de joie et de trouble, Zacharie ! Vous, mon père ! vous, Zacharie ! »

Et il tombe aux genoux du vieillard.

« Ah ! mon fils, dit l’apôtre des Francs, relevez-vous ! C’est à moi à me prosterner. Que suis-je auprès de vous, qu’un vieillard inutile et ignoré ! »

On s’assemble autour des deux amis ; on veut savoir leur histoire ; Eudore la raconte : des larmes coulent de tous les yeux. Le fils de Lasthénès demande à Zacharie quel conseil de la Providence l’a ramené des bords de l’Elbe aux rivages du Tibre.

« Mon fils, répond le descendant de Cassius, les Francs ont été vaincus par Constance. Pharamond m’avoit donné à une petite tribu qui, totalement subjuguée, fut transportée auprès de la colonie d’Agrippine. La persécution est survenue : comme elle ne règne point encore dans les Gaules, où César protège les chrétiens, les évêques de Lutèce et de Lugdunum ont choisi un certain nombre de prêtres pour servir les confesseurs dans les autres parties de l’empire. J’ai cru devoir me présenter de préférence à des jeunes gens, dont l’âge, plus que le mien, est digne de la vie. On a bien voulu accepter ma prière, et j’ai été envoyé à Rome. »