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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/316

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sa gueule noircie laisse échapper une écume impure, sa peau, détendue et jaunie, ne s’arrondit plus sur ses anneaux : il inspire encore l’effroi, mais cet effroi n’est plus ennobli par l’idée de sa puissance.

Oh ! combien différent est le chrétien de qui les veines épuisées de sang en ont toutefois assez retenu pour animer un grand cœur ! Mais c’étoit peu que les douleurs et les remords avant-coureurs des châtiments réservés au persécuteur des fidèles : Dieu fait un signe à l’ange exterminateur, et du doigt lui marque deux victimes. Le ministre des vengeances attache aussitôt à ses épaules des ailes de feu dont le frémissement imite le bruit lointain du tonnerre. D’une main il prend une des sept coupes d’or pleines de la colère de Dieu ; de l’autre il saisit le glaive qui frappa les nouveau-nés de l’Égypte et fit reculer le soleil à l’aspect du camp de Sennachérib. Les nations entières, condamnées pour leurs crimes, s’évanouissent devant cet esprit inexorable, et l’on cherche en vain leurs tombeaux. Ce fut lui qui traça sur la muraille, pendant le festin de Balthazar, les mots inconnus ; ce fut lui qui jeta sur la terre la faux qui vendange et la faux qui moissonne, lorsque Jean entrevit dans l’île de Pathmos les formidables figures de l’avenir.

L’ange exterminateur descend dans un éclair, comme ces étoiles qui se détachent du ciel et portent l’épouvante au cœur du matelot, il entre enveloppé d’un nuage dans le palais des césars au moment même où Galérius, assis à la table du festin, célébroit ses prospérités. Aussitôt les lampes du banquet pâlissent ; on entend au dehors comme le roulement d’une multitude de chariots de guerre ; les cheveux des convives se hérissent sur leur front ; des larmes involontaires coulent de leurs yeux ; les ombres des vieux Romains se levèrent dans les salles, et Galérius eut un pressentiment confus de la destruction de l’empire. L’ange s’approche invisible de ce maître du monde, et verse dans sa coupe quelques gouttes du vin de la colère céleste. Poussé par son mauvais destin, l’empereur porte à ses lèvres la liqueur dévorante ; mais à peine a-t-il bu à la fortune des césars, qu’il se sent soudain enivré ; un mal aussi prompt qu’inattendu le renverse aux pieds de ses esclaves : Dieu dans un moment a couché ce géant sur la terre.

Une poutre coupée sur le sommet du Gargare a vieilli dans un palais, séjour d’une race antique ; tout à coup le feu rayonnant au foyer du roi monte jusqu’au chêne desséché, la poutre s’embrase et tombe avec fracas dans les salles qui mugissent : ainsi tombe Galérius. L’ange l’abandonne à ce premier effet du poison éternel, et vole à la demeure où gémissoit Hiéroclès. D’un coup du glaive du Seigneur, il flétrit les flancs du ministre impie. À l’instant une hideuse maladie,