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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/317

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dont Hiéroclès avoit puisé les germes dans l’Orient, se déclare. L’infortuné voit une lèpre épaisse couvrir tout son corps ; ses vêtements s’attachent à sa chair, comme la robe de Déjanire ou la tunique de Médée. Sa tête s’égare ; il blasphème contre le ciel et les hommes, et tout à coup il implore les chrétiens pour le délivrer des esprits de ténèbres dont il se sent obsédé. La nuit étoit au milieu de son cours. Hiéroclès appelle ses esclaves : il leur ordonne de préparer une litière ; il sort de son lit, s’enveloppe dans un manteau, et se fait porter, à moitié en délire, chez le juge des chrétiens.

« Festus, lui dit-il, tu tiens en ta puissance une chrétienne qui fait le tourment de ma vie : sauve-la de la mort, et donne cette esclave à mon amour ; ne la condamne point aux bêtes ; l’édit te permet de la livrer aux lieux infâmes… tu m’entends ? »

À ces mots, le pervers jette une bourse d’or aux pieds du juge : il s’éloigne ensuite en poussant un sourd mugissement, comme un taureau malade qui se traîne parmi des roseaux au fond d’un marais.

Dans ce moment même, le dernier espoir des chrétiens venoit de s’évanouir : le messager qu’Eudore avoit envoyé à Dioclétien pour l’engager à reprendre l’empire étoit revenu de Salone : Zacharie l’introduisit dans les cachots. Les confesseurs avoient tous reçu leur sentence : ils étoient condamnés à mourir dans l’amphithéâtre avec Eudore. Entouré des évêques qui pansoient ses plaies, le fils de Lasthénès étoit étendu à terre sur les robes des martyrs : tel un guerrier blessé est couché sur les drapeaux qu’il a conquis, au milieu de ses compagnons d’armes. Le messager, saisi de douleur, restoit muet et interdit, les yeux attachés sur l’époux de Cymodocée.

« Parlez, mon frère, lui dit Eudore ; la chair est un peu abattue, mais l’esprit conserve encore sa vigueur. Félicitez-moi d’être soulagé par des mains qui ont tant de fois touché le corps de Jésus-Christ. »

Le messager, essuyant ses pleurs, rendit compte en ces mots de son entrevue avec Dioclétien :

« Eudore, je m’embarquai d’après vos ordres sur la mer Adriatique, et j’abordai bientôt au rivage de Salone. Je demandai Dioclès, autrefois Dioclétien, empereur. On me dit qu’il habitoit ses jardins à quatre milles de la ville. Je m’y rendis à pied. J’arrivai à la demeure de Dioclès ; je traversai des cours où je ne rencontrai ni gardes ni surveillants. Des esclaves étoient occupés çà et là à des travaux champêtres. Je ne savais à qui m’adresser. J’aperçus un homme avancé en âge qui travailloit dans le jardin ; je m’approchai de lui pour lui demander où l’on trouvoit le prince que je cherchois.

« Je suis Dioclès, répondit le vieillard en continuant son travail.