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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/322

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ils sont couverts de plaies, et ils ne disent rien contre nous ni contre les juges. Leur Dieu seroit-il le véritable Dieu ? »

Tels étoient les discours de la multitude. Parmi tant de malheureux idolâtres, quelques-uns se retirèrent saisis de frayeur, quelques autres se mirent à pleurer, et crioient :

« Il est grand le Dieu des chrétiens ! Il est grand le Dieu des martyrs ! »

Ils restèrent pour se faire instruire, et ils crurent en Jésus-Christ.

Quel spectacle pour Rome païenne ! quelle leçon ne lui donnoit point cette communion des martyrs ! Ces hommes qui dévoient bientôt abandonner la vie continuoient à tenir entre eux des discours pleins d’onction et de charité : lorsque de légères hirondelles se préparent à quitter nos climats, on les voit se réunir au bord d’un étang solitaire ou sur la tour d’une église champêtre : tout retentit des doux chants du départ ; aussitôt que l’aquilon se lève, elles prennent leur vol vers le ciel, et vont chercher un autre printemps et une terre plus heureuse.

Au milieu de cette scène touchante, on voit accourir un esclave : il perce la foule ; il demande Eudore ; il lui remet une lettre de la part du juge. Eudore déroule la lettre : elle étoit conçue en ces mots :

« Festus, juge, à Eudore, chrétien, salut :

« Cymodocée est condamnée aux lieux infâmes. Hiéroclès l’y attend. Je t’en supplie par l’estime que tu m’as inspirée, sacrifie aux dieux ; viens redemander ton épouse : je jure de te la faire rendre pure et digne de toi. »

Eudore s’évanouit ; on s’empresse autour de lui : les soldats qui l’environnent se saisissent de la lettre : le peuple la réclame ; un tribun en fait lecture à haute voix ; les évêques restent muets et consternés ; l’assemblée s’agite en tumulte. Eudore revient à la lumière, les soldats étoient à ses genoux et lui disoient :

« Compagnon, sacrifiez ! Voilà nos aigles au défaut d’autels. »

Et ils lui présentoient une coupe pleine de vin pour la libation. Une tentation horrible s’empare du cœur d’Eudore. Cymodocée aux lieux infâmes ! Cymodocée dans les bras d’Hiéroclès ! La poitrine du martyr se soulève : l’appareil de ses plaies se brise, et son sang coule en abondance. Le peuple, saisi de pitié, tombe lui-même à genoux, et répète avec les soldats :

« Sacrifiez ! sacrifiez ! »

Alors Eudore, d’une voix sourde :

« Où sont les aigles ? »

Les soldats frappent leurs boucliers en signe de triomphe, et se