Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En prononçant ces paroles, l’ange rebelle souffle sur la foule inconstante un esprit de vertige et de fureur. La soif du sang et des plaisir s’allume dans les âmes où la pitié s’éteint tout à coup. Un victimaire s’écrie :

« Ô ciel ! quel prodige frappe mes regards ! J’ai laissé Tagès au Capitole, et je le retrouve ici. Romains, n’en doutez pas, c’est quelque divinité cachée sous la figure du chef des aruspices qui vient vous reprocher votre pitié coupable et vous annoncer les volontés de Jupiter. »

À ces mots, le prince des ténèbres disparoît du milieu de la foule, et le peuple, saisi de terreur, court aux autels des idoles expier un moment d’humanité.

Galérius célébroit à la fois le jour de sa naissance et son triomphe sur les Perses. Ce jour tomboit aux fêtes de Flore. Afin de se rendre le peuple et les soldats plus favorables, l’empereur rétablit les fêtes de Bacchus, depuis longtemps supprimées par le Sénat. Tant d’horreurs dévoient être couronnées par les jeux de l’amphithéâtre, où les prisonniers chrétiens étoient condamnés à mourir.

D’imprudentes largesses, dont la source étoit dans la ruine des citoyens, et surtout dans la dépouille des fidèles, avoient renversé l’esprit de la foule. Toute licence étoit permise et même commandée. À la lueur des flambeaux, dans la voie Patricienne, une partie du peuple assistoit à des prostitutions publiques : des courtisanes nues, rassemblées au son de la trompette, célébroient par des chants obscènes cette Flore qui laissa sa fortune impudique à un peuple alors rempli de pudeur. Galérius montoit au Capitole sur un char tiré par des éléphants ; devant lui marchoit la famille captive de Narsès, roi des Perses. Les danses et les hurlements des Bacchantes varioient et multiplioient le désordre. Des outres et des amphores sans nombre étoient ouvertes près des fontaines et aux carrefours de la ville. On se barbouilloit le visage de lie, on pétrissoit la boue avec le vin. Bacchus paroissoit élevé sur un tréteau. Ses prêtresses agitoient autour de lui des torches enflammées, des thyrses entourés de pampres de vignes, et bondissoient au son des cymbales, des tambours et des clairons ; leurs cheveux flottoient au hasard : elles étoient vêtues de la peau d’un cerf, rattachée sur leurs épaules par des couleuvres qui se jouoient autour de leurs cous. Les unes portoient dans leurs bras des chevreaux naissants ; les autres présentoient la mamelle à des louveteaux ; toutes étoient couronnées de branches de chêne et de sapin ; des hommes déguisés en Satyres les accompagnoient, traînant un bouc orné de guirlandes. Pan se montroit avec sa flûte ; plus loin s’avançoit Silène ; sa tête, appesantie par le vin, rouloit de l’une à l’autre