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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/352

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sant dans l’arène : un mouvement involontaire fait tressaillir les spectateurs. Cymodocée, saisie d’effroi, s’écrie :

« Ah ! sauvez-moi ! »

Et elle se jette dans les bras d’Eudore, qui se retourne vers elle. Il la serre contre sa poitrine, il auroit voulu la cacher dans son cœur. Le tigre arrive aux deux martyrs. Il se lève debout, et enfonçant ses ongles dans les flancs du fils de Lasthénès, il déchire avec ses dents les épaules du confesseur intrépide. Comme Cymodocée, toujours pressée dans le sein de son époux, ouvroit sur lui des yeux pleins d’amour et de frayeur, elle aperçoit la tête sanglante du tigre auprès de la tête d’Eudore. À l’instant la chaleur abandonne les membres de la vierge victorieuse ; ses paupières se ferment ; elle demeure suspendue aux bras de son époux, ainsi qu’un flocon de neige aux rameaux d’un pin du Ménale ou du Lycée. Les saintes martyres, Eulalie, Félicité, Perpétue, descendent pour chercher leur compagne : le tigre avoit brisé le cou d’ivoire de la fille d’Homère. L’ange de la mort coupe en souriant le fil des jours de Cymodocée. Elle exhale son dernier soupir sans effort et sans douleur ; elle rend au ciel un souffle divin qui sembloit tenir à peine à ce corps formé par les Grâces ; elle tombe comme une fleur que la faux du villageois vient d’abattre sur le gazon. Eudore la suit un moment après dans les éternelles demeures : on eût cru voir un de ces sacrifices de paix où les enfants d’Aaron offroient au Dieu d’Israël une colombe et un jeune taureau.

Les époux martyrs avoient à peine reçu la palme, que l’on aperçut au milieu des airs une croix de lumière, semblable à ce Labarum qui fit triompher Constantin : la foudre gronda sur le Vatican, colline alors déserte, mais souvent visitée par un esprit inconnu ; l’amphithéâtre fut ébranlé jusque dans ses fondements ; toutes les statues des idoles tombèrent, et l’on entendit, comme autrefois à Jérusalem, une voix qui disoit :

« Les dieux s’en vont. »

La foule, éperdue, quitte les jeux. Galérius, rentré dans son palais, s’abandonne aux plus noires fureurs ; il ordonne qu’on livre au glaive les illustres compagnons d’Eudore. Constantin paroît aux portes de Rome. Galérius succombe aux horreurs de son mal : il expire en blasphémant l’Éternel. En vain un nouveau tyran s’empare du pouvoir suprême : Dieu tonne du haut du ciel ; le signe du salut brille ; Constantin frappe, Maxence est précipité dans le Tibre. Le vainqueur entre dans la cité reine du monde : les ennemis des chrétiens se dispersent. Le prince, ami d’Eudore, s’empresse alors de recueillir les derniers soupirs de Démodocus, que la douleur enlève à la terre, et qui