Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

point vu tes paroles dans Homère ! Ton silence a la dignité du silence des sages. Tu t’élèves à des sentiments pleins de majesté, non sur les ailes d’or d’Euripide, mais sur les ailes célestes de Platon 27. Au milieu d’une douce abondance, tu jouis des grâces de l’amitié ; rien n’est forcé autour de toi : tout est contentement, persuasion, amour. Puisses-tu conserver longtemps ton bonheur et tes richesses ! »

« Je n’ai jamais cru, répondit Lasthénès, que ces richesses fussent à moi : je les recueille pour mes frères les chrétiens, pour les gentils, pour les voyageurs, pour tous les infortunés. Dieu m’en a donné la direction ; Dieu me l’ôtera peut-être : que son saint nom soit béni 28 ! »

Comme Lasthénès achevoit de prononcer ces paroles, le soleil descendit sur les sommets du Pholoé 29, vers l’horizon éclatant d’Olympie ; l’astre agrandi parut un moment immobile, suspendu au-dessus de la montagne, comme un large bouclier d’or. Les bois de l’Alphée et du Ladon, les neiges lointaines du Telphusse et du Lycée, se couvrirent de roses ; les vents tombèrent, et les vallées de l’Arcadie demeurèrent dans un repos universel. Les moissonneurs quittèrent alors leur ouvrage : la famille, accompagnée des étrangers, reprit le chemin de la maison. Les maîtres et les serviteurs marchoient pêle-mêle, portant les divers instruments du labourage ; ils étoient suivis de mulets au pied sûr, chargés de bois coupé sur les hauteurs, et de bœufs traînant lentement les équipages champêtres renversés, ou les chariots tremblant sous le poids des gerbes.

En arrivant à la maison, on entendit le son d’une cloche 30.

« Nous allons faire la prière du soir, dit Lasthénès à Démodocus : nous permettrez-vous de vous quitter un moment, ou préférez-vous nous suivre ? »

« Me préservent les dieux de mépriser les prières 31, s’écria Démodocus, ces filles boiteuses de Jupiter, qui peuvent seules apaiser la colère d’Até ! »

On s’assemble aussitôt dans une cour entourée de granges et des étables des troupeaux. Quelques ruches d’abeilles y répandoient une agréable odeur mêlée au parfum du lait des génisses qui revenoient des pâturages. Au milieu de cette cour on voyoit un puits dont les deux poteaux, couverts de lierre, étoient surmontés de deux aloès qui croissoient dans des corbeilles. Un noyer, planté par l’aïeule de Lasthénès, couvroit le puits de son ombre. Lasthénès, la tête nue et le visage tourné vers l’orient, se plaça debout sous l’arbre domestique. Les bergers et les moissonneurs se mirent à genoux sur du chaume nouveau, autour de leur maître. Le père de famille prononça à haute voix cette prière, qui fut répétée par ses enfants et par ses serviteurs :