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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/51

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LIVRE II.

plus affectueuse ce que dit saint Paul sur les devoirs des époux. Cymodocée trembloit 41 ; des larmes rouloient, comme des perles, le long de ses joues virginales ; Eudore éprouvoit le même charme ; les maîtres et les serviteurs étoient attendris. Ceci, avec l’action de grâces fut le repas du soir chez les chrétiens.

Le repas fini, on alla s’asseoir à la porte du verger 42, sur un banc de pierre qui servoit de tribunal à Lasthénès lorsqu’il rendoit la justice à ses serviteurs.

Ainsi qu’un simple pasteur que le sort destine à la gloire, l’Alphée rouloit au bas de ce verger, sous une ombre champêtre, des flots que les palmes de Pise alloient bientôt couronner 43. Descendu du bois de Vénus et du tombeau de la nourrice d’Esculape, le Ladon serpentoit dans les riantes prairies, et venoit mêler son cristal pur au cours de l’Alphée. Les profondes vallées, arrosées par les deux fleuves, étoient plantées de myrtes, d’aunes et de sycomores. Un amphithéâtre de montagnes terminoit le cercle entier de l’horizon. La cime de ces montagnes étoit couverte d’épaisses forêts peuplées d’ours, de cerfs, d’ânes sauvages et de monstrueuses tortues, dont l’écaille servoit à faire des lyres. Vêtus d’une peau de sanglier, des pasteurs conduisoient parmi les roches et les pins de grands troupeaux de chèvres. Ces légers animaux étoient consacrés au dieu d’Épidaure, parce que leur toison étoit chargée de gomme qui s’attachoit à leur barbe et à leur soie lorsqu’ils broutoient le ciste sur des hauteurs inaccessibles.

Tout étoit grave et riant, simple et sublime dans ce tableau. La lune décroissante paroissoit au milieu du ciel, comme les lampes demi-circulaires que les premiers fidèles allumoient aux tombeaux des martyrs. La famille de Lasthénès, qui contemploit cette scène solitaire, n’étoit point alors occupée des vaines curiosités de la Grèce. Cyrille s’humilioit devant la puissance 44 qui cache des sources dans le sein des rochers et dont les pas font tressaillir les montagnes comme l’agneau timide ou le bélier bondissant. Il admiroit cette sagesse qui s’élève comme un cèdre sur le Liban, comme un plane aux bords des eaux. Mais Démodocus, qui désiroit faire éclater les talents de sa fille, interrompit ces méditations :

« Jeune élève des Muses, dit-il à Cymodocée, charme tes vénérables hôtes. Une douce complaisance fait toute la grâce de la vie, et Apollon retire ses dons aux esprits orgueilleux. Montre-nous que tu descends d’Homère. Les poëtes sont les législateurs des hommes et les précepteurs de la sagesse. Lorsque Agamemnon partit pour les rivages de Troie, il laissa un chantre divin auprès de Clytemnestre 45, afin de lui