Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
LES MARTYRS.

rappeler la vertu. Cette reine perdit l’idée de ses devoirs ; mais ce fut après qu’Égisthe eut transporté le nourrisson des Muses dans une île déserte. »

Ainsi parla Démodocus. Eudore va chercher une lyre, et la présente à la jeune Grecque, qui prononça quelques mots confus, mais d’une merveilleuse douceur. Elle se leva ensuite, et après avoir préludé sur des tons divers, elle fit entendre sa voix mélodieuse.

Elle commença par l’éloge des Muses 46.

« C’est vous, dit-elle, qui avez tout enseigné aux hommes, vous êtes l’unique consolation de la vie ; vous prêtez des soupirs à nos douleurs et des harmonies à nos joies. L’homme n’a reçu du ciel qu’un talent, la divine poésie, et c’est vous qui lui avez fait ce présent inestimable. Ô filles de Mnémosyne ! qui chérissez les bois de l’Olympe, les vallons de Tempé et les eaux de Castalie, soutenez la voix d’une vierge consacrée à vos autels ! »

Après cette invocation, Cymodocée chanta la naissance des dieux : Jupiter sauvé de la fureur de son père, Minerve sortie du cerveau de Jupiter, Hébé fille de Junon, Vénus née de l’écume des flots, et les Grâces, dont elle fut la mère. Elle dit aussi la naissance de l’homme animé par le feu de Prométhée, Pandore et sa boîte fatale, le genre humain reproduit par Deucalion et Pyrrha. Elle raconta les métamorphoses des dieux et des hommes, les Héliades changées en peupliers, et l’ambre de leurs pleurs roulé par les flots de l’Éridan. Elle dit Daphné, Baucis, Clytie, Philomèle, Atalante, les larmes de l’Aurore devenues la rosée, la couronne d’Ariadne attachée au firmament. Elle ne vous oublia point, fontaines, et vous, fleuves nourriciers des beaux ombrages. Elle nomma avec honneur le vieux Pénée, l’Ismène et l’Érymanthe, le Méandre qui fait tant de détours, le Scamandre si fameux, le Sperchius aimé des poëtes, l’Eurotas chéri de l’épouse de Tyndare, et le fleuve que les cygnes de Méonie ont tant de fois charmé par la douceur de leurs chants.

Mais comment auroit-elle passé sous silence les héros célébrés par Homère ! S’animant d’un feu nouveau, elle chanta la colère d’Achille, qui fut si pernicieuse aux Grecs, Ulysse, Ajax et Phœnix dans la tente de l’ami de Patrocle, Andromaque aux portes Scées, Priam aux genoux du meurtrier d’Hector. Elle dit les chagrins de Pénélope, la reconnoissance de Télémaque et d’Ulysse chez Eumée, la mort du chien fidèle, le vieux Laerte sarclant son jardin des champs et pleurant à l’aspect des treize poiriers qu’il avoit donnés à son fils.

Cymodocée ne put chanter les vers de son immortel aïeul sans consacrer quelques accents à sa mémoire. Elle représenta la pauvre et