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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/55

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LIVRE II.

« Pleurez, portes de Jérusalem ! Ô Sion ! les prêtres et tes enfants sont emmenés en esclavage ! »

Il chanta les nombreuses vanités de l’homme : vanité des richesses, vanité de la science, vanité de la gloire, vanité de l’amitié, vanité de la vie, vanité de la postérité ! Il signala la fausse prospérité de l’impie, et préféra le juste mort au méchant qui lui survit. Il fit l’éloge du pauvre vertueux et de la femme forte.

« Elle a cherché la laine et le lin, elle a travaillé avec des mains sages et ingénieuses ; elle se lève pendant la nuit pour distribuer l’ouvrage à ses domestiques, et le pain à ses servantes ; elle est revêtue de beauté. Ses fils se sont levés, et ont publié qu’elle étoit heureuse ; son mari s’est levé, et l’a louée. »

« Ô Seigneur ! s’écria le jeune chrétien enflammé par ces images, c’est vous qui êtes le véritable souverain du ciel ; vous avez marqué son lieu à l’aurore. À votre voix le soleil s’est levé dans l’orient ; il s’est avancé comme un géant superbe ou comme l’époux radieux qui sort de la couche nuptiale. Vous appelez le tonnerre, et le tonnerre, tremblant, vous répond : « Me voici. » Vous abaissez la hauteur des cieux ; votre esprit vole dans les tourbillons ; la terre tremble au souffle de votre colère ; les morts, épouvantés, fuient de leurs tombeaux ! Ô Dieu, que vous êtes grand dans vos œuvres ! et qu’est-ce que l’homme, pour que vous y attachiez votre cœur ? Et pourtant il est l’objet éternel de votre complaisance inépuisable ! Dieu fort. Dieu clément, Essence incréée, Ancien des jours, gloire à votre puissance, amour à votre miséricorde ! »

Ainsi chante le fils de Lasthénès. Cet hymne de Sion retentit au loin dans les antres de l’Arcadie, surpris de répéter, au lieu des sons efféminés de la flûte de Pan, les mâles accords de la harpe de David. Démodocus et sa fille étoient trop étonnés pour donner des marques de leur émotion. Les vives clartés de l’Écriture avoient comme ébloui leurs cœurs, accoutumés à ne recevoir qu’une lumière mêlée d’ombres ; ils ne savoient quelles divinités Eudore avoit célébrées, mais ils le prirent lui-même pour Apollon, et ils lui vouloient consacrer un trépied d’or que la flamme n’avoit point touché. Cymodocée se souvenoit surtout de l’éloge de la femme forte, et elle se promettoit d’essayer ce chant sur la lyre. D’une autre part, la famille chrétienne étoit plongée dans les pensées les plus sérieuses ; ce qui n’étoit pour les étrangers qu’une poésie sublime étoit pour elle de profonds mystères et d’éternelles vérités. Le silence de l’assemblée auroit duré longtemps s’il n’avoit été interrompu tout à coup par les applaudissements des bergers. Le vent avoit porté à ces pasteurs la voix de Cymodocée et