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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/56

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LES MARTYRS.

d’Eudore : ils étoient descendus en foule de leurs montagnes pour écouter ces concerts ; ils crurent que les Muses et les Sirènes 51 avoient renouvelé au bord de l’Alphée le combat qu’elles s’étoient livré jadis quand les filles de l’Achéloüs, vaincues par les doctes sœurs, furent contraintes de se dépouiller de leurs ailes.

La nuit avoit passé le milieu de son cours. L’évêque de Lacédémone invite ses hôtes à la retraite. Comme le vigneron fatigué au bout de sa journée, il appelle trois fois le Seigneur, et adore. Alors les chrétiens, après s’être donné le baiser de paix, rentrent sous leur toit chastement recueillis.

Démodocus fut conduit par un serviteur au lieu qu’on avoit préparé pour lui, non loin de l’appartement de Cymodocée. Cyrille, après avoir médité la parole de vie, se jeta sur une couche de roseaux. Mais à peine avoit-il fermé les yeux qu’il eut un songe 52 : il lui sembla que les blessures de son ancien martyre se rouvroient, et qu’avec un plaisir ineffable il sentoit de nouveau son sang couler pour Jésus-Christ. En même temps il vit une jeune femme et un jeune homme resplendissants de lumière monter de la terre aux cieux : avec la palme qu’ils tenoient à la main ils lui faisoient signe de les suivre ; mais il ne put distinguer leur visage, parce que leur tête étoit voilée. Il se réveilla plein d’une sainte agitation ; il crut reconnoître dans ce songe quelque avertissement pour les chrétiens. Il se mit à prier avec abondance de larmes, et on l’entendit plusieurs fois s’écrier dans le silence de la nuit :

« Ô mon Dieu ! s’il faut encore des victimes, prenez-moi pour le salut de votre peuple ! »

fin du livre deuxième.