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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/574

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si grande tendresse, de si vives inquiétudes pour la religion, ne seroient point des hommes connus par leur mépris ou leur indifférence pour elle. Quelle dérision ! »

Ce soupçon tombe beaucoup mieux sur les adversaires des Martyrs : car en prenant contre moi la défense de la morale, de la pudeur et de la religion, ils ont laissé échapper de telles indécences et des plaisanteries si impies, que le fond de leurs sentiments s’est montré à découvert. Ils sont allés jusqu’à provoquer contre moi la censure ecclésiastique. Faydit, dans sa critique du Télémaque, emploie les mêmes insinuations : « Autrefois, dit-il, on déposoit les évêques qui s’avisoient d’écrire des romans. » Et à qui Faydit rappeloit-il noblement cet exemple ? À Louis XIV, qui n’aimoit pas Fénelon, et qui croyoit voir dans le Télémaque la satire indirecte du gouvernement de la France. Quand la critique se sert de pareilles armes, il faut convenir qu’elle est bien forte.

Quel est le but qu’on se propose en m’attaquant ainsi sous les rapports religieux ? Un but très-facile à voir. On suppose que mes prôneurs sont des chrétiens ; que toute ma force est là. Il faut donc me rendre suspect à ce qu’on appelle mon parti, faire naître des doutes sur ma sincérité, alarmer des gens simples qui sont assez modestes pour régler leur jugement sur le jugement d’un journal. Mais l’artifice étoit trop grossier pour réussir. En voulant trop prouver contre Les Martyrs, on n’a rien prouvé : personne n’a pu croire qu’un homme qui depuis dix ans emploie toutes les foibles ressources de son esprit à la défense de la religion fût tout à coup devenu l’ennemi adroit ou maladroit de cette même religion.

Je n’avance rien au hasard, et je ne demande pas, comme mes ennemis, d’en être cru sur ma parole, quoique je ne l’aie jamais donnée en vain. Les chrétiens n’ont point trouvé que Les Martyrs exposassent la religion à des dangers ; en voici la preuve :

Il y a en France une gazette appelée Gazette ecclésiastique ou Journal des Curés. Si quelque journal a le droit d’appeler une cause chrétienne à son tribunal, c’est sans doute celui-là. Il a paru dans cette feuille sept articles sur Les Martyrs ; ces sept articles sont tous en faveur de l’ouvrage : on en prend la défense contre les journalistes qui l’ont attaqué, on en conseille la lecture, on en fait l’apologie ; et c’est vraisemblablement un prêtre qui tient ce langage, tandis que des censeurs, qui rient sans doute en eux-mêmes quand ils se font les champions de l’autel, crient de toutes parts au scandale.

J’ai commencé par examiner la compétence de mes juges ; passons à leurs objections.