Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/576

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« L’abbé Batteux, dans son Cours de Littérature, entre dans plus de détails encore pour établir le même principe. On y trouve en quelque sorte le fond des idées qu’a développées M. de Chateaubriand dans son premier ouvrage. Ne pouvant tout citer, je me contenterai de rapporter les traits principaux :

« Malgré le respect que nous avons pour les idées de M. Despréaux, nous ne saurions croire que s’il venoit au monde un second Homère, il ne trouveroit pas dans l’histoire de la religion une matière capable d’exercer son génie. » Ici l’auteur présente la manière dont en ce cas le merveilleux chrétien auroit pu être employé, le sujet que le nouvel Homère auroit pu chanter, et il ajoute : « Il auroit démontré par l’exécution que le sublime et le sérieux de notre religion, bien loin d’être un obstacle invincible à l’épopée, y seroient la source des plus sublimes beautés. Quel fondement auroit servi d’appui à ce merveilleux ? Le même qui a servi aux anciens, je veux dire la persuasion commune des peuples pour qui on écrit[1]. »

« Il n’est pas hors de propos de remarquer ici que ce sont précisément les écrivains les plus pieux qui ont eu les mêmes idées que l’auteur des Martyrs. Toutefois ceux de nos littérateurs à qui l’on donne le nom de philosophes n’ont jamais avancé qu’il fallût être païen dans l’épopée, et que ce fût là une règle hors de laquelle on ne pouvoit que s’égarer.

« Marmontel, celui qui a le plus vanté le merveilleux de la mythologie, et dont les écrits fourniront toujours des articles presque tout faits aux critiques qui voudront déclamer contre l’épopée moderne[2], Marmontel, dis-je, s’exprime ainsi : « Avec de l’art, du goût et du génie, nos prophètes, nos anges, nos démons et nos saints peuvent agir décemment et dignement dans un poëme ; et à la maladresse de Sannazar, du Camoëns, etc., on peut opposer les exemples du Tasse, de Milton, de l’auteur d’Athalie, de La Henriade[3]. »

« Voltaire, qui, pour le dire en passant, s’accorde avec Rollin sur l’origine de la poésie, loin de vouloir assujettir les jeunes littérateurs à la prétendue règle des nouveaux censeurs, laisse la plus grande liberté sur ce point :

« La machine du merveilleux, dit-il, l’intervention d’un pouvoir céleste, la nature des épisodes, tout ce qui dépend de la tyrannie de

  1. Principes de Littérature, t. II.
  2. Tout ce qu’on a dit de plus fort contre le merveilleux chrétien se trouve dans Marmontel, et souvent exprimé dans les mêmes termes.
  3. Voyez l’Encyclopédie, au mot Merveilleux.