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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/577

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la coutume et de cet instinct qu’on nomme goût, voilà sur quoi il y a mille opinions, et point de règle générale[1]. »

« Le Quintilien françois, La Harpe, qui donna, du moins dans un temps, la préférence au merveilleux de la mythologie, déclare formellement qu’il ne prétend pas exclure la religion de l’épopée ; et il ajoute :

« J’ose en cela m’écarter de l’avis de Despréaux, et l’exemple du Tasse, confirmé par le succès, me paroît l’emporter sur l’autorité du critique. »

« Il seroit absurde, dit-il ailleurs, d’exiger dans un sujet moderne l’intervention des dieux de l’antiquité[2]. »

Telles sont les autorités rapportées par mon défenseur.

Donc, il est clair que Rollin, Voltaire, Batteux, Marmontel et La Harpe ont pensé qu’on pouvoit employer le merveilleux chrétien dans l’épopée. Il y a plus : Voltaire a fait un poëme avec ce merveilleux que l’on veut proscrire, et La Harpe a laissé plusieurs chants manuscrits d’une épopée chrétienne. Dans cette épopée, il y a un livre de l’Enfer, un livre du Ciel ; on voit agir les saints, les anges et les prophètes ; Dieu parle, Dieu prononce ses décrets ; enfin, c’est un poëme chrétien dans toute l’étendue du mot. Si ce poëme eût paru du vivant de La Harpe, on se seroit donc écrié que le Quintilien françois étoit le corrupteur du goût, et qu’il avoit profané la religion ? Disons la vérité : on n’a jamais voulu m’entendre ; on a toujours fait de la chose la plus simple la question la plus embrouillée.

Voici les faits tels qu’ils sont :

J’ai dit :

1o Si l’on veut traiter un sujet épique tiré de l’histoire moderne, il faut nécessairement employer le merveilleux chrétien, puisque la religion chrétienne est aujourd’hui la religion des peuples civilisés de l’Europe.

J’ai dit :

2o Si nous ne voulons pas faire usage de ce merveilleux, il faut ou renoncer à l’épopée, ou placer toujours l’action de cette épopée dans l’antiquité. Et pourquoi donc abandonner absolument le droit si doux de chanter la patrie ?

Que les critiques se contentent de répondre : « Nous convenons qu’on ne peut avoir une épopée moderne sans employer le merveilleux chrétien ; mais nous regrettons le merveilleux du paganisme, parce qu’il offre plus de ressources aux poëtes, » j’entendrai ce langage.

Je répondrai à mon tour :

  1. Essai sur la Poésie épique.
  2. Cours de Littérature, t. I.