Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/596

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mes censeurs semblent avoir copié les pensées, les plaisanteries et les phrases même de Faydit.

J’étois destiné à éprouver un genre de critique tout particulier. Il a fallu pour m’attaquer changer de poids et de mesures et reprocher aux Martyrs ce qu’on approuve partout ailleurs : car ce n’est pas la manière, mais le fond, qu’on censure dans l’épisode de Velléda ; et pourtant Velléda est-elle autre chose que Circé, Didon, Armide, Eucharis, Gabrielle ? Je n’ai fait que suivre les traces de mes devanciers, en ajoutant à ma peinture un correctif qu’aucun auteur n’a mis à la sienne. Renaud ne se repent point de ses erreurs comme amant, il rougit seulement de sa mollesse comme guerrier. Il retrouve Armide, il la console, il s’en va de nouveau avec elle ; et quel tableau que celui de Renaud couché sur le sein d’Armide et puisant tous les feux de l’amour dans les regards de l’enchanteresse ! Si j’avois retracé de pareilles images, que n’eût-on point dit, que n’eût-on point fait ? Et remarquez toutefois que l’écrivain de ces scènes voluptueuses alloit être couronné de la main d’un pape au Capitole lorsqu’il mourut, la veille de sa gloire. Eudore se repent, Eudore combat sa foiblesse ; après sa chute, il la déplore, il se soumet à une pénitence publique, il retourne à la religion ; et son repentir est si grand, si sincère, qu’il le conduit au martyre. Les saints eux-mêmes, et les plus grands, ont donné de pareils exemples de faute et d’expiation. Saint Augustin ne nous a-t-il pas peint ses désordres ? Son fils Adéodat ne fut-il pas le fruit d’un amour criminel ? Soit qu’on examine l’épisode de Velléda dans ses conséquences pour Eudore, soit qu’on le considère sous d’autres rapports, cet épisode n’a aucun danger ; l’effet même de la passion de la druidesse en amortit l’effet pour le lecteur. L’espèce de folie dont Velléda est atteinte, le malheur de cette femme, l’indifférence d’Eudore, ses remords après sa chute, ne laissent que la tristesse au fond de l’âme. Observons de plus que Velléda ne détruit point l’intérêt pour Cymodocée, comme Didon pour Lavinie. C’est peut-être la première fois que la passion a moins intéressé que le devoir et l’amante moins que l’épouse : espèce de tour de force dans ce genre, qui rend l’épisode très-moral. Cette observation n’est pas de moi ; elle est d’un homme supérieur, sur l’autorité duquel j’aime à m’appuyer.

Il faut dire pourtant que j’ai remarqué dans le dixième livre des tours un peu trop vifs, des expressions qui pouvoient être adoucies sans rien perdre de leur chaleur. J’ai retranché les blasphèmes et les imprécations d’Eudore au moment de sa chute ; j’ai épaissi les voiles : en un mot, tel que cet épisode reparoît aujourd’hui, il seroit impos-