Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/598

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

docée une chrétienne emportée et farouche, il faudra jeter le livre au feu.

Cependant, on doit toujours reconnoître ce qu’il peut y avoir de fondé en raison, même dans la critique la moins raisonnable. Pour éviter tout reproche, j’ai fait un changement considérable dans cette édition. Cymodocée n’est plus demandée directement par le ciel, comme victime expiatoire, mais indirectement, comme une victime dont le sacrifice doit augmenter le sacrifice d’Eudore et rendre plus efficace l’holocauste du martyr. La foi de Cymodocée n’exige plus, dans ce plan, la même force, et la religion et l’art sont satisfaits.

Telles sont à peu près les objections morales et religieuses que l’on a faites aux Martyrs. Vent-on savoir la vérité ? Si j’avois originairement retranché une douzaine de lignes de la préface, et si j’avois donné un autre titre à l’ouvrage, je ne sais pas sur quoi on se seroit disputé. On s’est jeté sur le passage où je parlois du merveilleux chrétien, et l’on s’est battu contre ce qu’on appelle mon système : il ne s’agissoit point d’un système ; il n’étoit question que de juger un livre, d’en considérer le style et le plan, d’en examiner les transitions, de voir si j’avois heureusement rajeuni des comparaisons antiques, trouvé des comparaisons nouvelles ; de prononcer sur la vérité des tableaux ; de dire en quoi je différois de mes prédécesseurs, en quoi je leur ressemblois ; de montrer les écueils que j’avois évités, ceux où j’avois fait naufrage : on n’a point songé à tout cela. Qu’importent à la critique la bonne foi et la justice quand elle veut aveuglément condamner ? On saisit quelques phrases au hasard, on ferraille avec l’auteur, et l’examen se réduit à une amplification injurieuse, où l’on tâche de faire briller par ci par là un peu d’esprit.

Il est certain aussi que le titre du livre, connu d’avance, avoit préparé l’esprit du public chrétien à un ouvrage d’un tout autre genre. On s’attendoit à trouver une espèce de martyrologe, une narration historique des persécutions de l’Église, depuis Néron jusqu’à Robespierre. La surprise a été grande lorsque, frappées de cette idée, des personnes simples se sont trouvées, en ouvrant le livre, au milieu de la famille d’Homère. Des gens un peu moins simples se sont vite aperçus de cette surprise, et ils en ont profité pour augmenter l’humeur qui s’empare involontairement de notre esprit lorsque nous sommes trompés en quelque chose. Si j’avois intitulé mon livre Les Aventures d’Eudore, on n’y auroit cherché que ce qui s’y trouve. Il est trop tard pour revenir à ce titre, et d’ailleurs le véritable titre de l’ouvrage est certainement celui qu’il porte. La surprise passera ; elle est déjà passée ; et l’ouvrage ne tardera pas à être considéré sous son véritable jour.