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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/599

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Si le Génie du Christianisme a été de quelque utilité à la religion, Les Martyrs, je l’espère, partageront avec lui cet inestimable honneur. L’homme est plus sensible aux exemples qu’aux préceptes. La peinture des souffrances de tant de martyrs (car, après tout, cette peinture n’est pas une fiction) ne sera point sans effet sur les lecteurs. Heureux si j’ai prouvé que notre religion peut lutter sans crainte avec les plus grandes beautés d’Homère, et qu’elle donne, dans l’infortune, un courage au-dessus de la rage des persécuteurs et de la cruauté des bourreaux !

OBJECTIONS LITTÉRAIRES.

Un homme de beaucoup d’esprit, de goût et de mesure, et qui de plus est poëte, et poëte d’un vrai talent, ce qui ne gâte rien à la présente discussion, n’a fait que trois objections contre Les Martyrs, après lesquelles il semble tout approuver :

1o Le héros n’est pas historique ;

2o Le triomphe de la religion ou le but de l’ouvrage n’est pas assez annoncé ;

3o Le récit n’est point assez lié à l’action.

Il y a en littérature des principes immuables, et d’autres qui n’ont pas la même certitude. La règle des trois unités, par exemple, est de tout temps, de tout pays, parce qu’elle est fondée sur la nature et qu’elle produit la plus grande perfection possible. Je crois qu’il n’en est pas ainsi de la règle du personnage historique, parce qu’il est prouvé qu’on peut intéresser aussi vivement pour un personnage d’invention que pour un personnage réel. Aussi voyons-nous qu’Aristote et Horace laissent à ce sujet plus de liberté à l’auteur.

On convient que la plupart des préceptes d’Aristote pour la tragédie s’appliquent également à l’épopée. Dacier, dont j’emprunterai la traduction, s’explique ainsi en commentant le vingt-quatrième chapitre de la Poétique : « Aristote a dit, dans le cinquième chapitre, que l’épopée a cela de commun avec la tragédie, qu’elle est une imitation des actions des plus grands personnages, et il a eu soin de nous avertir que toutes les parties de ce poëme héroïque se trouvent dans la tragédie. Ainsi, ayant expliqué parfaitement et en détail tout ce qui regarde la composition du poëme dramatique, il n’a presque plus rien à dire de l’épopée. Voilà pourquoi il est si court dans le traité ; il n’y emploie que deux chapitres, qui ne sont, à proprement parler, qu’une récapi-