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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/604

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Afin d’ennoblir Eudore et de le rendre, pour ainsi dire, historique, je le fais descendre d’une famille de héros, et surtout du dernier des Grecs, Philopœmen. Racine emploie le même artifice pour rehausser l’importance de Monime. Ainsi c’est dans Eudore que l’Évangile va faire la conquête du sang de ces grands hommes dont Plutarque nous a transmis l’histoire. Inventée sur le même modèle, Cymodocée est la fille d’Homère ; et c’est en elle que le christianisme doit triompher des grâces, des beaux-arts et des divinités de la Grèce. Le critique a déjà trouvé cette réponse assez ingénieuse ; il semble même, en ce cas, approuver mes personnages d’invention : mais il auroit voulu que j’eusse insisté davantage sur mon idée, et qu’elle eût été mise d’une manière plus frappante sous les yeux du lecteur. Il a raison ; et c’est ce que j’ai fait dans cette édition nouvelle[1].

Si l’art trouve ces explications suffisantes, on doit remarquer que la religion, et c’est la chose importante, est pleinement satisfaite par l’invention de mon héros.

Dieu choisit souvent dans les conditions les plus humbles l’homme dont les épreuves attirent la bénédiction du ciel sur les nations.

« Dieu a choisi ce qu’il y a d’insensé selon le monde pour confondre les sages, et ce qui est foible selon le monde pour confondre ce qu’il y a de fort.

« Et il a choisi ce qu’il y a de vil et de méprisable selon le monde et ce qui n’est rien pour détruire ce qui est grand[2]. »

Cette première vérité reconnue, on voit ensuite que la hiérarchie des vertus, et conséquemment l’efficacité plus ou moins grande des sacrifices, est admise par tous les Pères d’après l’histoire de Caïn et d’Abel.

Je puis donc supposer, dans toutes les analogies de la foi, qu’au temps de la persécution un martyr dont les actes se sont perdus s’offrit en holocauste volontaire, et que cet holocauste par un mérite intérieur, connu de Dieu seul, parut plus agréable au Très-Haut que toutes les autres victimes. Combien en effet de confesseurs obscurs moururent sous Dioclétien pour la conversion du monde ! Outre les fameux athlètes qui brillent dans l’histoire, et qui révélèrent leurs cendres à l’Église par des miracles, « Que de saintes reliques, s’écrie Prudence, la terre dérobe à nos hommages ! Ô Italie, qui dira les tombes sans honneurs dont les champs sont couvertes[3] ! » Eudore sera donc le représentant des héros des deux religions ; les uns ignorés du

  1. Voyez le livre du Ciel.
  2. S. Paul., Epist. ad Corinth. I, cap. i.
  3. Lib. Coron.