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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/606

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fatale d’Ilion ; et l’arrivée d’Énée en Italie n’est point la fondation de Rome, qui n’eut lieu que longtemps après. Dans L’Odyssée et dans le Télémaque, l’action est encore bien plus particulière, bien plus domestique : c’est un fils qui cherche son père, c’est un mari qui retrouve sa femme dans une petite île obscure ; et tout cela sans qu’il en résulte aucun événement dans l’avenir. L’action d’Eudore est absolument de la même nature que celle d’Achille et d’Énée : elle tient à une action publique, mais elle est privée ; elle produit ensuite le règne de Constantin et le triomphe de la religion, comme la colère du fils de Pélée et l’exil du fils de Vénus amènent la chute de Troie et l’établissement de l’empire romain. Si La Pharsale et La Jérusalem ont pour sujet une action historique achevée dans le cours de ces deux poëmes, l’autorité de Lucain et du Tasse ne peut balancer celle d’Homère et de Virgile. C’est encore une erreur de croire que le héros d’une épopée doit être nécessairement roi ou fils de roi. Renaud et Godefroi même ne sont que de simples chevaliers ou de très-petits souverains, et leur naissance n’a pas plus d’éclat que celle du descendant de Phocion et de Philopœmen. Les personnes qui ont pris quelque plaisir à la lecture des Martyrs peuvent être tranquilles : elles se sont amusées dans les règles. Jamais ouvrage ne fut plus conforme à la doctrine poétique, plus orthodoxe au Parnasse. Je dirai plus : la conclusion que j’ai ajoutée est, je crois, mieux appropriée au goût du temps où j’écris, mais elle n’eût point été demandée dans le siècle de Louis XIV. Elle n’est point nécessaire selon les lois du genre épique. Homère ne s’est pas donné la peine de faire un seul vers après les funérailles d’Hector, pour annoncer la chute de Troie ; et Virgile, après la mort de Turnus, n’a point songé à marier le pieux Énée. Pourquoi cela ? Parce que c’est au lecteur à tirer une conclusion trop manifeste, et que le poëte n’est pas obligé de tout achever et de tout dire, comme l’historien et le romancier. Ma complaisance à cet égard a donc été extrême, et je pouvois sans scrupule laisser les choses comme elles étoient.

Venons au récit.

J’ose dire encore que dans aucune épopée le récit n’est rattaché aussi fortement à l’action qu’il l’est dans Les Martyrs.

Le récit de L’Odyssée n’a point de rapport à la catastrophe, celui de L’Énéide est court et admirable ; mais revoit-on dans la suite du poëme les principaux acteurs qu’Énée fait agir dans sa narration, et la scène en Italie se lie-t-elle à la scène de Troie ? L’épisode de Didon, qui n’est ni de l’action ni du récit, tient-il au fond du sujet, comme l’histoire de Velléda tient au fond des Martyrs ?

Le récit du Télémaque est magnifique ; mais les personnages de ce