Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/607

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

récit, excepté Narbal, qu’on revoit un moment, disparoissent sans retour.

Dans le récit des Martyrs vous trouvez d’abord la peinture des caractères qu’il sera essentiel de connoître dans le développement de l’action : vous y trouvez le tableau du christianisme dans toute la terre au moment d’une persécution qui va frapper tous les chrétiens, vous y trouvez l’excommunication d’Eudore, qui fait prendre à l’action le tour qu’elle doit prendre ; vous y trouvez la grande faute qui sert à ramener le héros dans le sein de l’Église : faute qui, répandant sur le fils de Lasthénès l’éclat de la pénitence, attire sur lui le regard des chrétiens et le fait choisir pour défenseur de l’Église ; vous y trouvez le commencement de la rivalité d’Eudore et d’Hiéroclès, l’annonce des victoires de Galérius sur les Parthes : ces victoires achèvent de rendre ce prince maître absolu de l’esprit de Dioclétien, et préparent ainsi l’abdication qui amène la persécution ; enfin, vous y trouvez, par la vision de saint Paul Ermite, la prédiction du martyre d’Eudore et du triomphe complet de la religion. Pour comble de précautions, ce récit est motivé dans le ciel : Dieu déclare qu’il a conduit Eudore par la main, afin d’éprouver sa foi et de préparer sa victoire. Ajoutons que ce récit a de plus l’avantage de faire naître l’amour de Cymodocée, d’inspirer à cette jeune païenne les premières pensées du christianisme, et de concourir ainsi par un double moyen au but de l’action. Il ne vient donc pas là sans raison, pour satisfaire la curiosité d’un personnage, comme la plupart des récits épiques.

Quant à sa longueur, il n’est pas plus long, proportion gardée, que le récit de L’Odyssée et que celui du Télémaque ; je dis proportion gardée, parce que je crois que Les Martyrs ont un peu plus d’étendue que ces deux ouvrages. Il me semble, si je ne me trompe, que je suis assez fort sur ce point : une critique généreuse reconnoîtra sans peine que la raison est de mon côté.

Restent quelques difficultés présentées par divers journaux. J’ai répondu à ces chicanes de détails dans les remarques ; quant aux caractères de mes personnages, je ne sais trop à quoi m’en tenir. Démodocus est traité par un censeur comme un vieillard imbécile et ennuyeux ; un autre censeur, très-peu favorable aux Martyrs, compare la douleur de Démodocus à celle de Priam, c’est-à-dire au plus beau morceau qui nous soit resté de l’antiquité : comment ferai-je ?

Le même critique qui met Démodocus à côté de Priam veut que Les Martyrs soient une espèce de parc anglois, de vastes campagnes, où l’on trouve des lieux déserts, des lieux parés, des montagnes, des précipices. Il faut bien que je me console : Pope a représenté les poëmes