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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/608

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d’Homère sous l’image d’un grand jardin et Addison se sert de la même comparaison pour Le Paradis perdu.

Le même critique a dit encore que Les Martyrs étoient un voyage et toujours un voyage. Mais L’Odyssée est-elle autre chose qu’un voyage ? Ulysse touche à tous les rivages connus de son temps. On disoit dans l’antiquité les Erreurs d’Ulysse. L’Énéide n’est qu’un voyage ; La Lusiade du Camoëns n’est qu’un voyage : que de voyages dans La Jérusalem ! Le Télémaque est non-seulement un voyage depuis la première ligne jusqu’à la dernière, mais le but de l’ouvrage en lui-même, ou l’action proprement dite, est un voyage. Le critique s’écrie : « L’auteur est allé là, une description ; l’auteur est allé ici, son héros y passera. » J’ai une chose bien simple à répondre : Les Martyrs étoient achevés en grande partie, principalement le récit d’Eudore, lorsque je suis parti pour l’Orient ; c’est un fait que beaucoup de témoins pourroient affirmer. Ainsi ce n’est point Eudore qui voyage en Égypte, en Syrie, en Grèce, parce que j’ai voyagé dans ces contrées célèbres, mais c’est moi qui suis allé voir les bords que mon héros a parcourus. Je ne sache pas qu’on ait jamais reproché à Homère d’avoir visité les lieux dont il nous a laissé d’admirables tableaux. Je n’ai point au reste l’intention de choquer le censeur en répondant à ses objections : je reconnois qu’en attaquant Les Martyrs il m’a traité avec décence, indulgence même, et avec ces égards qu’un honnête homme doit à un honnête homme. Sa critique est celle d’un écrivain de talent, et, bien qu’elle m’ait semblé rigoureuse, elle m’a paru très digne d’être méditée.

Les imitations ont été un autre objet de controverse. Je ne puis mieux faire que de citer à ce sujet mon défenseur.

« La plus ancienne épopée que nous ayons après celle d’Homère, dit-il, c’est L’Énéide. Virgile ne se contenta pas d’imiter L’Odyssée et L’Iliade, il traduisit et abrégea la plupart des batailles du poëte grec ; il copia pour ainsi dire, selon Macrobe, un autre poëte, nommé Pisandre, pour en former le deuxième livre. Il prit de nombreux fragments non-seulement dans les écrivains de sa nation qui l’avoient précédé, mais encore dans quelques-uns de ses plus illustres contemporains, tels que Lucrèce, Catulle, Varius, etc. : en sorte que l’on peut dire que cette épopée fut la première véritable mosaïque[1].

  1. Mon défenseur ne va pas assez loin. Les Argonautes d’Apollonius de Rhodes, Médée d’Euripide, La Guerre de Troie de Quintus de Smyrne (c’est l’opinion de Lacerda), ont été mis à contribution par Virgile. Croira-t-on qu’on reprochoit à L’Énéide d’être écrite d’un style commun et de tenir le milieu entre l’enflure et la sécheresse ? Perilius Faustinus avoit fait un livre pour rassembler tous les vols de