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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/610

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M. de La Harpe : parmi les Grecs, il cite Hérodote, Stésichore et Archiloque ; puis il ajoute : « Platon est celui de tous qui a le plus imité Homère : car il a puisé dans ce poëte comme dans une vive source dont il a détourné un nombre infini de ruisseaux… Au reste, on ne doit point regarder cela comme un larcin, mais comme une belle idée qu’il a eue, et qu’il s’est formée sur les mœurs, l’invention et les ouvrages d’autrui[1]. »

Le choix des autorités citées par mon défenseur est excellent, et me justifie assez sur un point qui ne méritoit guère la peine qu’on s’y arrêtât.

Quelques lecteurs ont cru que j’avois transporté trop littéralement dans mon ouvrage des morceaux choisis de poésie antique ; c’est une erreur, que les notes dissiperont : ces lecteurs ont été trompés par un ou deux vers placés dans les strophes ou dans les chœurs des hymnes à Diane, à Bacchus, à Vénus. Pour donner un exemple, le Pervigilium Veneris, chanté dans l’île de Chypre, n’est point le Pervigilium faussement attribué à Catulle ; je n’ai emprunté de lui que le Cras amet et un demi-couplet. La première strophe est imitée en grande partie de Lucrèce, et la seconde entière est de moi.

J’ai peu puisé chez les anciens pour les comparaisons : celles des Martyrs m’appartiennent presque toutes. Les personnes dont le jugement fait ma loi pensent que c’est peut-être, avec les transitions, la partie la plus soignée de l’ouvrage. On paroît surtout avoir remarqué la comparaison du lion dans la bataille des Francs ; celle de la voile repliée autour du mât pendant la tempête, celle du chant du coq sur un vaisseau, celle de l’homme qui remonte les bords d’un torrent dans la montagne, et qui arrive à la région du silence et de la sérénité. Mais enfin j’ai dérobé quelques comparaisons à la Bible, à Homère, à Virgile ; et la critique, qui prend tout cela pour imitation littérale, ne s’aperçoit pas que ces comparaisons sont totalement changées.

La comparaison de l’Égypte à une génisse est de l’Écriture. Ayant à peindre l’Égypte après l’inondation, j’ai ajouté : « L’Égypte, toute brûlante d’une inondation nouvelle, ressemble à une génisse féconde qui vient de se baigner dans les flots du Nil. » Ai-je eu tort d’imiter ainsi, et ne pourrois-je pas revendiquer la comparaison entière ?

On connoît la description du chêne dans les Géorgiques ; description qui, pour le dire en passant, est tirée d’une comparaison de L’Iliade. Comme Homère, j’ai mis cette description en comparaison, et voulant

  1. Traité du Sublime, chap. xi.