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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/611

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peindre la fortune décroissante d’Hiéroclès, j’ai dit : « Le pâtre qui contemple le roi des forêts du haut de la colline le voit élever au-dessus de ses rameaux verdoyants une couronne desséchée. » Ce trait ne me rend-il pas propre le passage imité ?

On a blâmé ma comparaison d’Homère avec un serpent qui fascine par ses regards une colombe et la fait tomber du haut des airs. La colombe est Cymodocée. Cette critique, si je ne m’abuse, est peu raisonnable. Le serpent chez les poëtes est un animal fort noble. Hector dans L’Iliade est comparé à un serpent. Le serpent étoit mêlé à toutes les choses sacrées ; un serpent sort du tombeau d’Anchise, en Sicile, et vient goûter aux gâteaux des sacrifices. Le serpent étoit l’emblème du génie : cela convient-il à Homère ? Le serpent étoit consacré à Apollon : Apollon n’a-t-il aucune analogie avec Homère ? Au temple de Delphes, l’oracle, dans les premiers âges, étoit rendu par un serpent : ce serpent ne peut-il être l’emblème du plus grand des poëtes, inspiré par le souffle du dieu des vers ? Le serpent étoit l’image de l’univers et de l’éternité : cela convient-il mal à un poëte dont les ouvrages dureront autant que le monde ? Enfin, dans l’Écriture le serpent, animé par le père des mensonges, séduit la belle compagne de l’homme : Homère, père des fables, qui charme l’esprit de Cymodocée, n’offre-t-il pas ainsi tous les rapports nécessaires à la comparaison qu’on attaque ?

Si d’une part on a cru que j’imitois, quand je n’imitois pas, de l’autre on a mis sur mon compte des choses qui appartenoient à l’antiquité. Eudore au milieu de son épreuve dit à Festus : « Regardez bien mon visage, afin de me reconnoître au jugement de Dieu. » Je ne sais pas ce que cela peut avoir de risible ; mais je sais que quand on se mêle de critiquer, il ne faut pas pousser le défaut de mémoire jusqu’à méconnoître un passage de l’Écriture, passage qui se retrouve mot à mot dans le Martyre de sainte Perpétue[1]. J’aurois ici un beau sujet de triomphe : je ne triompherai point cependant, car le plus habile homme se trompe quelquefois, quoique la méprise soit un peu forte : il n’y a qu’un certain ton qu’un habile homme ne prend jamais.

Au reste, mes remarques épargneront à Homère, à Moïse, aux prophètes, mille petites tracasseries qu’on leur a faites sous mon nom : ils ont bien de quoi se défendre par eux-mêmes ; et vraiment je suis trop sujet à faillir pour me charger encore des sottises de L’Iliade et des erreurs de la Bible. On saura donc, en consultant la note, s’il y a

  1. Notate tamen nobis facies nostras diligenter, ut recognoscatis nos in die illo judicii. (Act. Martyr. Passio Sanct. Perpet. et Felicit., cap. xvii, p. 94.)