Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/617

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raire ? Vais-je lisant mes ouvrages à quiconque veut les écouter ? Je vis seul ; je n’ai point d’école, point de jeunes gens qui viennent recueillir les paroles du maître. Si j’en crois pourtant la faveur publique, il ne tiendroit qu’à moi de m’entourer de nombreux disciples. Avant la révolution, étant encore dans ma plus grande jeunesse, un heureux hasard me jeta dans la société de M. de La Harpe, et j’eus le bonheur de recevoir les leçons de cet excellent maître. Il a daigné me rappeler dans son testament, et je déplore tous les jours la perte d’un homme si utile aux lettres. Quel défenseur n’ai-je pas perdu ! Tout le monde sait l’amitié qui me lie au digne successeur de l’Aristarque françois ; amitié qui compte déjà bien des années, puisqu’elle remonte à l’époque où j’ai connu M. de La Harpe. D’autres littérateurs distingués, que je fréquentois à cette même époque, ont suivi des routes différentes de la mienne, ils se sont déclarés mes ennemis sans que je les aie provoqués ; ils m’ont attaqué dans leurs écrits avec violence. Je ne me suis pas plaint de leur infidélité au souvenir d’une ancienne liaison ; j’ai lu les critiques qu’ils ont faites de mes premiers ouvrages, j’y ai remarqué du goût, de l’esprit, du talent, du savoir. S’ils m’ont paru quelquefois aller trop loin, j’ai pensé ou que mon amour-propre me trompoit, ou qu’ils étoient emportés malgré eux au delà des bornes, par cette chaleur d’opinion dont on a tant de peine à se défendre. Je me plais même à reconnoître que les rudes leçons d’une amitié changée m’ont été utiles, et que si Les Martyrs ont moins de taches que mes précédents écrits, je le dois à ces jugements, peut-être un peu rigoureux. Je ne pense nullement comme ces hommes de lettres en matière de religion ; mais cela ne me rend point leur ennemi, et je ne le dis point par une hypocrisie superbe[1].

Ce ton n’est guère, il me semble, celui d’un chef de parti, d’un homme de coterie. Aujourd’hui que l’on a passé envers moi toutes les bornes ; aujourd’hui que l’on a tenu en parlant des Martyrs un langage que l’on ne m’avoit jamais adressé dans la plus grande chaleur de la controverse sur Atala, qu’ai-je opposé à cette attaque ? Pendant huit mois, un profond silence ; maintenant cet Examen, où je n’ai pas même employé les réponses personnelles que je trouvois dans la brochure d’un défenseur inconnu.

Ne pourrois-je point, à mon tour, avec plus de justice, accuser mes

  1. Tandis que j’écrivois ceci, les littérateurs distingués dont je parle avec cette modération remplissoient les almanachs de vers injurieux contre Les Martyrs. La meilleure réponse que je puisse faire à ces littérateurs, c’est de laisser subsister tel qu’il est le paragraphe qui a donné lieu à cette note.