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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/621

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ouvrages, je regrette quelquefois cette carrière où personne n’avoit le droit de prononcer mon nom publiquement sans mon aveu et où je disposois seul d’une noble obscurité.

Enfin on a parlé à mon sujet de philosophe et de philosophie, et cela d’un ton qui n’a fait tort qu’à celui qui l’a pris. Expliquons-nous :

S’il faut, pour être philosophe, applaudir aux progrès des lumières, honorer les sciences, aimer les lettres et les arts, désirer le bonheur des hommes, idolâtrer la patrie, je suis philosophe.

Si pour mériter ce titre il faut mépriser la sagesse et la gloire de nos ancêtres, blasphémer une religion qui a civilisé, éclairé et consolé la terre, substituer à l’éternelle parole et aux commandements immuables de Dieu le vain langage et la raison changeante de l’homme ; s’il faut vanter l’indépendance avec un cœur d’esclave, n’avoir pour soi que les crimes et jamais les vertus d’une opinion, je n’ai point été, je ne suis point, et je ne serai jamais philosophe.

C’est ici mon dernier combat : il est temps de mettre un terme à ces vaines agitations. J’ai passé l’âge des chimères, et je sais à quoi m’en tenir sur la plupart des choses de la vie. Quelle que soit désormais la justice ou l’injustice de la critique, je lui abandonne mes ouvrages : on pourra les ensevelir, les exhumer, les ensevelir de nouveau, je ne réclamerai plus. Je suis las de recevoir des insultes pour remercîments des plus pénibles travaux. Dans aucun temps, dans aucun pays, un homme qui auroit consacré huit années de sa vie à un long ouvrage ; qui pour le rendre moins imparfait eût entrepris des voyages lointains, dissipé le fruit de ses premières études, quitté sa famille, exposé sa vie ; dans aucun temps, dis-je, dans aucun pays, cet homme n’eût été jugé avec une légèreté si déplorable. Je n’ai jamais senti le besoin de la fortune qu’aujourd’hui. Avec quelle satisfaction je laisserais le champ de bataille à ceux qui s’y distinguent par tant de hauts faits, pour l’honneur des Muses et l’encouragement des talents ! Non que je renonçasse aux lettres, seule consolation de la vie ; mais personne ne seroit plus appelé de mon vivant à me citer à son tribunal pour un ouvrage nouveau.

fin de l’examen des martyrs.