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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/79

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LIVRE IV.

en frères ; ceux-là rêvent profondément des secrets de la nature cachés sous les symboles égyptiens : les uns voient tout dans la pensée, les autres cherchent tout dans la matière ; d’autres prêchent la république dans le sein de la monarchie : ils prétendent qu’il faut renverser la société, afin de la reconstruire sur un plan nouveau ; d’autres, à l’imitation des fidèles, veulent enseigner la morale au peuple : ils rassemblent la foule dans les temples et au coin des rues, et vendent, sur des tréteaux, une vertu que ne soutiennent point les œuvres et les mœurs. Divisés pour le bien, réunis pour le mal, gonflés de vanité, se croyant des génies sublimes, au-dessus des doctrines vulgaires, il n’y a point d’insignes folies, d’idées bizarres, de systèmes monstrueux, que ces sophistes n’enfantent chaque jour. Hiéroclès marche à leur tête, et il est digne en effet de conduire un tel bataillon.

« Ce favori de Galérius, vous le savez trop, seigneurs, gouverne aujourd’hui l’Achaïe : c’est un de ces hommes que les révolutions introduisent au conseil des grands, et qui leur deviennent utiles par une sorte de talent pour les affaires communes, par une facilité peu désirable à parler promptement sur tous les sujets. Grec d’origine, on soupçonne Hiéroclès d’avoir été chrétien dans sa jeunesse ; mais, l’orgueil des lettres humaines ayant corrompu son esprit, il s’est jeté dans les sectes philosophiques. On ne reconnoît plus en lui de traces de sa religion première, si ce n’est à l’espèce de délire et de rage où le plonge le seul nom du Dieu qu’il a quitté. Il a pris la langue hypocrite et les affectations de l’école de la fausse sagesse. Les mots de liberté, de vertu, de science et de progrès des lumières, de bonheur du genre humain, sortent sans cesse de sa bouche ; mais ce Brutus est un bas courtisan, ce Caton est dévoré de passions honteuses, cet apôtre de la tolérance est le plus intolérant des mortels, et cet adorateur de l’humanité est un sanglant persécuteur. Constantin le hait, Dioclétien le craint et le méprise, mais il a gagné la confiance intime de Galérius ; il n’a d’autre rival auprès de ce prince que Publius, préfet de Rome. Hiéroclès essaye d’empoisonner l’esprit du malheureux césar : il présente au monde le spectacle hideux d’un prétendu sage qui corrompt, au nom des lumières, un homme qui règne sur les hommes.

« Jérôme, Augustin et moi, nous avions rencontré Hiéroclès à l’école d’Eumène. Son ton sentencieux et décisif, son air d’importance et d’orgueil, le rendoient odieux à notre simplicité et à notre franchise. Sa personne même semble repousser l’affection et la confiance : son front étroit et comprimé annonce l’obstination et l’esprit de système ; ses yeux faux ont quelque chose d’inquiet comme ceux d’une bête