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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/78

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LES MARTYRS.

offroit souvent dans son hameau des sacrifices aux divinités des montagnes. Indignée que les disciples de l’Évangile refusassent de partager son idolâtrie, elle avoit inspiré à son fils l’aversion qu’elle sentoit pour les fidèles. Galérius a déjà poussé le foible et barbare Maximien à persécuter l’Église, mais il n’a pu vaincre encore la sage modération de l’empereur. Dioclétien nous estime au fond de l’âme ; il sait que nous composons aujourd’hui la meilleure partie des soldats de son armée ; il compte sur notre parole quand nous l’avons une fois donnée ; il nous a même rapprochés de sa personne : Dorothée, premier officier de son palais 42, est un chrétien remarquable par ses vertus. Vous verrez bientôt que l’impératrice Prisca et sa fille, la princesse Valérie, ont embrassé secrètement la loi du Sauveur. Reconnaissants des bontés de Dioclétien, et vivement touchés de la confiance qu’il leur accorde, les fidèles forment autour de lui une barrière presque insurmontable. Galérius le sait, et sa rage en est plus animée, car il voit que pour atteindre à l’empereur, dont l’ingrat envie peut-être la puissance, il faut perdre auparavant les adorateurs du vrai Dieu.

« Tels sont les deux princes qui, comme les génies du bien et du mal, répandent la prospérité ou la désolation dans l’empire, selon que l’un ou l’autre cède ou remporte la victoire. Comment Dioclétien, si habile dans la connoissance des hommes, a-t-il choisi un pareil césar ? C’est ce qu’on ne peut expliquer que par les arrêts de cette Providence qui rend vaines les pensées des princes et dissipe les conseils des nations.

« Heureux Galérius s’il se fût renfermé dans l’enceinte des camps, et qu’il n’eût jamais entendu que les accents des soldats, le cri des dangers et la voix de la gloire ! Il n’auroit point rencontré au milieu des armes ces lâches courtisans qui se font une élude d’allumer le vice et d’éteindre la vertu. Il ne se fût point abandonné aux conseils d’un favori perfide, qui ne cesse de le pousser au mal. Ce favori appartient, seigneurs, à une classe d’hommes que je dois vous faire connoître, parce qu’elle influera nécessairement sur les événements de ce siècle et sur le sort des chrétiens.

« Rome, vieillie et dépravée, nourrit dans son sein un troupeau de sophistes, Porphyre, Jamblique, Libanius, Maxime, dont les mœurs et les opinions seroient un objet de risée, si nos folies n’étoient trop souvent le commencement de nos crimes. Ces disciples d’une science vaine attaquent les chrétiens, vantent la retraite, célèbrent la médiocrité, vivent aux pieds des grands et demandent de l’or. Ceux-ci s’occupent sérieusement d’une ville à bâtir 43, toute peuplée de sages, qui, soumis aux lois de Platon, couleront doucement leurs jours en amis et