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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/81

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LIVRE IV.

qui revenoit de sa mission des Indes ; et cette chrétienne esclave qui dans sa captivité, convertit la nation entière des Ibériens. La salle du conseil de Marcellin étoit une allée de vieux ifs qui régnoit le long du cimetière. C’étoit là qu’en se promenant avec les évêques il conféroit des besoins de l’Église. Étouffer les hérésies de Donat, de Novatien, d’Arius, publier des canons, assembler des conciles, bâtir des hôpitaux, racheter des esclaves, secourir les pauvres, les orphelins, les étrangers, envoyer des apôtres aux barbares, tel étoit l’objet des puissants entretiens de ces pasteurs. Souvent, au milieu des ténèbres, Marcellin, veillant seul pour le salut de tous, descendoit de sa cellule au tombeau des saints apôtres. Prosterné sur les reliques, il prioit la nuit entière, et ne se relevoit qu’aux premiers rayons du jour. Alors, découvrant sa tête chenue, posant à terre sa tiare de laine blanche, le pontife ignoré étendoit ses mains pacifiques et bénissoit la ville et le monde 48.

« Lorsque je passois de la cour de Dioclétien à cette cour chrétienne, je ne pouvois m’empêcher d’être frappé d’une chose étonnante. Au milieu de cette pauvreté évangélique je retrouvois les traditions du palais d’Auguste et de Mécène, une politesse antique, un enjouement grave, une élocution simple et noble, une instruction variée, un goût sain, un jugement solide. On eût dit que cette obscure demeure étoit destinée par le ciel à devenir le berceau d’une autre Rome et l’unique asile des arts, des lettres et de la civilisation.

« Marcellin essayoit tous les moyens de me ramener à Dieu. Quelquefois, au soleil couchant, il me conduisoit sur les bords du Tibre ou dans les jardins de Salluste. Il m’entretenoit de la religion, et cherchoit à m’éclairer sur mes fautes avec une bonté paternelle. Mais les mensonges de la jeunesse m’ôtoient le goût de la vérité. Loin de profiter de ces promenades salutaires, je redemandois secrètement les platanes de Fronton, le portique de Pompée ou celui de Livie 49, rempli d’antiques tableaux ; et puisqu’il le faut avouer à ma confusion éternelle, je regrettois les temples d’Isis et de Cybèle, les fêtes d’Adonis, le cirque, les théâtres, lieux d’où la pudeur s’est depuis longtemps envolée aux accents de la muse d’Ovide. Après avoir inutilement tenté près de moi les admonitions charitables, Marcellin employa les mesures sévères : « Je serai forcé, me disoit-il souvent, de vous séparer de la communion des fidèles, si vous continuez à vivre éloigné des sacrements de Jésus-Christ. »

« Je n’écoutai point ses conseils, je ris de ses menaces ; ma vie devint un objet de scandale public : le pontife fut enfin obligé de lancer ses foudres.