Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/118

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saint Jérôme, la continuent. Les pèlerins accourent de toutes parts. Depuis ce moment jusqu’à nos jours une suite de voyages non interrompue nous donne pendant quatorze siècles et les mêmes faits et les mêmes descriptions. Quelle tradition fut jamais appuyée d’un aussi grand nombre de témoignages ? Si l’on doute ici, il faut renoncer à croire quelque chose : encore ai-je négligé tout ce que j’aurais pu tirer des croisades. J’ajouterai à tant de preuves historiques quelques considérations sur la nature des traditions religieuses et sur le local de Jérusalem.

Il est certain que les souvenirs religieux ne se perdent pas aussi facilement que les souvenirs purement historiques : ceux-ci ne sont confiés en général qu’à la mémoire d’un petit nombre d’hommes instruits, qui peuvent oublier la vérité ou la déguiser selon leurs passions ; ceux-là sont livrés à tout un peuple, qui les transmet machinalement à ses fils. Si le principe de la religion est sévère, comme dans le christianisme ; si la moindre déviation d’un fait ou d’une idée devient une hérésie, il est probable que tout ce qui touche cette religion se conservera d’âge en âge avec une rigoureuse exactitude.

Je sais qu’à la longue une piété exagérée, un zèle mal entendu, une ignorance attachée aux temps et aux classes inférieures de la société, peuvent surcharger un culte de traditions qui ne tiennent pas contre la critique, mais le fond des choses reste toujours. Dix-huit siècles, qui tous indiquent aux mêmes lieux les mêmes faits et les mêmes monuments, ne peuvent tromper. Si quelques objets de dévotion se sont trop multipliés à Jérusalem, ce n’est pas une raison de rejeter le tout comme une imposture. N’oublions pas d’ailleurs que le christianisme fut persécuté dans son berceau, et qu’il a presque toujours continué de souffrir à Jérusalem : or, l’on sait quelle fidélité règne parmi des hommes qui gémissent ensemble : tout devient sacré alors, et la dépouille d’un martyr est conservée avec plus de respect que la couronne d’un monarque. L’enfant qui peut à peine parler connaît déjà cette dépouille ; porté la nuit, dans les bras de sa mère, à de périlleux autels, il entend des chants, il voit des pleurs qui gravent à jamais dans sa tendre mémoire des objets qu’il n’oubliera plus ; et quand il ne devrait encore montrer que la joie, l’ouverture de cœur et la légèreté de son âge, il apprend à devenir grave, discret et prudent : le malheur est une vieillesse prématurée.

Je trouve dans Eusèbe une preuve remarquable de cette vénération pour une relique sainte. Il rapporte que de son temps les chrétiens de la Judée conservaient encore la chaise de saint Jacques, frère du Sauveur et premier évêque de