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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/135

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quelques champs d’orge et de coton. Nous passâmes un torrent desséché : son lit était rempli de lauriers-roses et de gatilliers (l’ agnus-castus), arbuste à feuille longue, pâle et menue, dont la fleur lilas, un peu cotonneuse, s’allonge en forme de quenouille. Je cite ces deux arbustes parce qu’on les retrouve dans toute la Grèce et qu’ils décorent presque seuls ces solitudes, jadis si riantes et si parées, aujourd’hui si nues et si tristes. A propos de torrent desséché, je dois dire aussi que je n’ai vu dans la patrie de l’Ilissus, de l’Alphée et de l’Erymante, que trois fleuves dont l’urne ne fût pas tarie : le Pamisus, le Céphise et l’Eurotas. Il faut qu’on me pardonne encore l’espèce d’indifférence et presque d’impiété avec laquelle j’écrirai quelquefois les noms les plus célèbres ou les plus harmonieux. On se familiarise malgré soi en Grèce avec Thémistocle, Epaminondas, Sophocle, Platon, Thucydide, et il faut une grande religion pour ne pas franchir le Cythéron, le Ménale ou le Lycée comme on passe des monts vulgaires.

Au sortir du vallon dont je viens de parler, nous commençâmes à gravir de nouvelles montagnes : mon guide me répéta plusieurs fois des noms inconnus ; mais, à en juger par leur position, ces montagnes devaient faire une partie de la chaîne du mont Témathia. Nous ne tardâmes pas à entrer dans un bois d’oliviers, de lauriers-roses, d’esquines, d’agnus-castus et de cornouillers. Ce bois était dominé par des sommets rocailleux. Parvenus à cette dernière cime, nous découvrîmes le golfe de Messénie, bordé de toutes parts par des montagnes entre lesquelles l’Ithome se distinguait par son isolement et le Taygète par ses deux flèches aiguës : je saluai ces monts fameux par tout ce que je savais de beaux vers à leur louange.

Un peu au-dessous du sommet du Témathia, en descendant vers Coron, nous aperçûmes une misérable ferme grecque, dont les habitants s’enfuirent à notre approche. A mesure que nous descendions, nous découvrions au-dessous de nous la rade et le port de Coron, où l’on voyait quelques bâtiments à l’ancre ; la flotte du capitan-pacha était mouillée de l’autre côté du golfe, vers Calamate. En arrivant à la plaine qui est au pied des montagnes et qui s’étend jusqu’à la mer, nous laissâmes sur notre droite un village au centre duquel s’élevait une espèce de château fort : le tout, c’est-à-dire le village et le château, était comme environné d’un immense cimetière turc couvert de cyprès de tous les âges. Mon guide, en me montrant ces arbres, me les nommait parissos. Un ancien habitant de la Messénie m’aurait autrefois conté l’histoire entière du jeune homme d’Amyclée, dont le Messénien d’aujourd’hui n’a retenu que la moitié du nom ; mais ce nom, tout défiguré