Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/137

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place le temple d’Apollon Corinthus, ou plutôt dans la position de Colonides 4. On trouve vers le fond du golfe de Messénie des ruines au bord de la mer, qui pourraient bien être celles de la véritable Coroné, à moins qu’elles n’appartiennent au village d’Ino. Coronelli s’est trompé en prenant Coroné pour Pédase, qu’il faut, selon Strabon et Pausanias, retrouver dans Méthone.

L’histoire moderne de Coron ressemble a peu près à celle de Modon : Coron fut tour à tour, et aux mêmes époques que cette dernière ville, possédée par les Vénitiens, les Génois et les Turcs. Les Espagnols l’assiégèrent et l’enlevèrent aux infidèles en 1633. Les chevaliers de Malte se distinguèrent à ce siège assez mémorable. Vertot fait à ce sujet une singulière faute en prenant Coron pour Chéronée, patrie de Plutarque, qui n’est pas elle-même la Chéronée où Philippe donna des chaînes à la Grèce. Retombée au pouvoir des Turcs, Coron fut assiégée et prise de nouveau par Morosini, en 1685 : on remarque à ce siège deux de mes compatriotes. Coronelli ne cite que le commandeur de La Tour, qui y périt glorieusement, mais Giacomo Diedo parle encore du marquis de Courbon. J’aimais à retrouver les traces de l’honneur français dès mes premiers pas dans la véritable patrie de la gloire et dans le pays d’un peuple qui fut si bon juge de la valeur. Mais où ne retrouve-t-on pas ces traces ! A Constantinople, à Rhodes, en Syrie, en Égypte, à Carthage, partout où j’ai abordé, on m’a montré le camp des Français, la tour des Français, le château des Français : l’Arabe m’a fait voir les tombes de nos soldats sous les sycomores du Caire, et le Siminole sous les peupliers de la Floride.

C’est encore dans cette même ville de Coron que M. de Choiseul a commencé ses tableaux. Ainsi le sort me conduisait au même lieu où mes compatriotes avaient cueilli cette double palme des talents et des armes, dont la Grèce aimait à couronner ses enfants. Si j’ai moi-même parcouru sans gloire, mais non sans honneur, les deux carrières où les citoyens d’Athènes et de Sparte acquirent tant de renommée, je m’en console en songeant que d’autres Français ont été plus heureux que moi.

M. Vial se donna la peine de me montrer Coron, qui n’est qu’un amas de ruines modernes ; il me fit voir aussi l’endroit d’où les Russes canonnèrent la ville en 1770, époque fatale à la Morée, dont les Albanais ont depuis massacré la population. La relation des voyages de Pellegrin date de 1715 et de 1719 : le ressort de Coron s’étendait alors, selon ce voyageur, à quatre-vingts villages ; je ne sais si l’on en trouverait