Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/166

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Tout cet emplacement de Lacédémone est inculte : le soleil l’embrase en silence et dévore incessamment le marbre des tombeaux. Quand je vis ce désert, aucune plante n’en décorait les débris, aucun oiseau, aucun insecte ne les animait, hors des millions de lézards, qui montaient et descendaient sans bruit le long des murs brûlants. Une douzaine de chevaux à demi sauvages paissaient çà et là une herbe flétrie ; un pâtre cultivait dans un coin du théâtre quelques pastèques ; et à Magoula, qui donne son triste nom à Lacédémone, on remarquait un petit bois de cyprès. Mais ce Magoula même, qui fut autrefois un village turc assez considérable, a péri dans ce champ de mort : ses masures sont tombées, et ce n’est plus qu’une ruine qui annonce des ruines.

Je descendis de la citadelle et je marchai pendant un quart d’heure pour arriver à l’Eurotas. Je le vis à peu près tel que je l’avais passé deux lieues plus haut sans le connaître : il peut avoir devant Sparte la largeur de la Marne au-dessus de Charenton. Son lit, presque desséché en été, présente une grève semée de petits cailloux, plantée de roseaux et de lauriers-roses, et sur laquelle coulent quelques filets d’une eau fraîche et limpide. Cette eau me parut excellente ; j’en bus abondamment, car je mourais de soif. L’Eurotas mérite certainement l’épithète de Καλλιδόναξ, aux beaux roseaux, que lui a donnée Euripide ; mais je ne sais s’il doit garder celle d’ olorifer, car je n’ai point aperçu de cygnes dans ses eaux. Je suivis son cours, espérant rencontrer ces oiseaux qui, selon Platon, ont avant d’expirer une vue de l’Olympe, et c’est pourquoi leur dernier chant est si mélodieux : mes recherches furent inutiles. Apparemment que je n’ai pas, comme Horace, la faveur des Tyndarides, et qu’ils n’ont pas voulu me laisser pénétrer le secret de leur berceau.

Les fleuves fameux ont la même destinée que les peuples fameux : d’abord ignorés, puis célébrés sur toute la terre, ils retombent ensuite dans leur première obscurité. L’Eurotas, appelé d’abord Himère, coule maintenant oublié sous le nom d’ Iri, comme le Tibre, autrefois l’Albula, porte aujourd’hui à la mer les eaux inconnues du Tevère. J’examinai les ruines du pont Babyx, qui sont peu de chose. Je cherchai l’île du Plataniste, et je crois l’avoir trouvée au-dessous même de Magoula : c’est un terrain de forme triangulaire, dont un côté est baigné par l’Eurotas et dont les deux autres côtés sont fermés par des fossés pleins de jonc, où coule pendant l’hiver la rivière de Magoula, l’ancien Cnacion. Il y a dans cette île quelques mûriers et des sycomores, mais point de platanes. Je n’aperçus rien qui prouvât que les Turcs fissent encore de cette île un lieu de délices ; j’y vis cependant quelques fleurs,